Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/52

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se montrer reconnaissant envers le vieux comte. — Comme il vous plaira, vieux Gilbert Greenleaf[1], répondit Fabian ; vous savez que je ne me fâche jamais de vos sermons ; sachez-moi gré de la résignation avec laquelle je me soumets à vos réprimandes et à celles de sir John de Walton. Mais vous poussez les choses trop loin si vous ne pouvez laisser passer un jour sans me donner, pour ainsi dire, le fouet. Croyez-moi, sir John de Walton ne vous remerciera point si vous en faites un homme trop vieux pour se rappeler qu’il a jadis eu lui-même de la sève verte dans les veines. Oui, telles sont les choses, le vieillard n’oubliera point qu’il a été jeune autrefois, et le jeune homme qu’il doit un jour devenir vieux. Voilà une maxime pour vous, Gilbert. En avez-vous jamais entendu une meilleure ? Colloquez-la parmi vos axiomes de sagesse, et voyez si elle ne sera point à leur égard comme quinze est à douze. Elle vous servira à vous tirer d’affaire, brave homme, quand la cruche au vin (c’est ton seul défaut, bon Gilbert) t’aura mis dans quelque embarras. — Tu ferais mieux de garder ta maxime pour toi, bon sire écuyer, répliqua le vieillard ; il me semble qu’elle pourra te servir quelque jour. A-t-on jamais ouï dire qu’un chevalier, ou le bois dont les chevaliers se font, c’est-à-dire un écuyer, ait été jamais châtié corporellement comme un pauvre vieux archer ou un valet d’écurie ? Vos plus grandes fautes, vous les réparez par quelqu’une de ces précieuses sentences, et vos meilleurs services, on ne les récompensera guère plus généreusement qu’en vous donnant le nom de Fabian-le-Fabuliste, ou quelque autre surnom aussi spirituel. »

Après cette longue repartie, le vieux Greenleaf reprit ce certain air d’aigreur qui caractérise d’ordinaire les hommes dont l’avancement peut être regardé comme nul, tant il a été lent et peu considérable, et qui témoignent toujours de la mauvaise humeur contre ceux qui sont montés en grade, ce à quoi tout le monde réussit plus vite, et comme ils le supposent avec moins de mérite qu’eux-mêmes. De temps à autre, les yeux de la vieille sentinelle quittaient le haut de sa pique, et se dirigeaient avec un air de triomphe sur le jeune Fabian, comme pour voir s’il était profondément blessé du trait qu’il lui avait lancé, tandis qu’en même temps il se tenait toujours prêt à s’acquitter du devoir mécanique que lui imposait sa faction. Mais Fabian et son maître étaient tous deux à cette heureuse époque de la vie où un mécontentement tel que celui du vieil archer n’affecte guère : ils ne le considéraient tout au plus que

  1. Feuille verte.