Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/107

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Tandis que Reuben Butler acquérait à l’université de Saint-André les connaissances nécessaires à un ministre, et qu’il macérait son corps par toutes sortes de privations pour procurer la nourriture à son esprit, sa grand’mère devenait tous les jours plus incapable de faire valoir sa petite ferme, et fut enfin forcée de la remettre au nouveau laird de Dumbiedikes. Ce grand personnage n’était pas tout à fait intraitable, et il lui fit des conditions assez douces. Il lui permit même d’habiter la maison où elle avait vécu avec son mari, tant que cette maison serait habitable ; mais il protesta qu’il ne paierait jamais pour un liard de réparations, car sa bienveillance était purement passive.

Cependant, à force d’adresse et d’industrie, et grâce à d’heureuses circonstances, pour la plupart accidentelles, Davie Deans se vit sur un bon pied dans le monde, amassa quelques richesses, passa pour en avoir plus encore, et parut tout disposé à conserver, à augmenter même sa fortune. Peu s’en fallait qu’il ne s’en blâmât lui-même quand il y réfléchissait sérieusement. Par ses connaissances en agriculture, il était devenu comme le favori du laird, qui, n’aimant ni la chasse ni la société, finissait d’ordinaire sa promenade en allant chaque soir à la chaumière de Woodend.

Comme il avait fort peu d’idées, et qu’il les exprimait fort difficilement, Dumbiedikes avait l’habitude de s’asseoir ou de rester debout pendant une demi-heure, ayant sur la tête un vieux chapeau galonné qui avait appartenu à son père, et une pipe vide à la bouche, suivant des yeux Jeanie Deans ou la fillette, comme il l’appelait, tandis qu’elle vaquait aux soins du ménage, et que son père, après avoir épuisé le texte ordinaire des bestiaux, des champs et des semences, ne manquait jamais de se lancer à corps perdu dans la controverse, et d’entamer des discours que le laird semblait écouter avec beaucoup de patience, mais sans faire la moindre réplique, peut-être même sans comprendre un seul mot de tout ce que disait l’orateur. Il est vrai que Deans ne voulait pas convenir de ce point, car c’était insulter à la fois et son talent à exposer les saintes vérités, talent dont il était un peu fier, et l’intelligence du laird. « Dumbiedikes, disait-il, n’est pas un ces beaux fils qui courent au galop vers l’enfer, plutôt que d’aller pieds nus au ciel ; il n’est pas comme son père, ne hante pas les compagnies profanes, ne jure pas, ne boit pas, ne fréquente ni le spectacle, ni le concert, ni la danse ; il observe le sabbat, il n’exige jamais ni serment ni promesse, n’ôte jamais à un malheureux sa