Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/285

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être utiles dans son voyage. Mais la plus grande difficulté existait encore, et elle n’y avait songé que le soir même, c’était le manque d’argent. Comment pouvait-elle entreprendre sans un sou un voyage aussi éloigné que celui qu’elle méditait ?

Davie Deans, comme nous l’avons fait remarquer, était à son aise et même riche pour sa condition ; mais ses richesses, comme celles des anciens patriarches, se composaient de ses troupeaux de bestiaux, et de deux ou trois sommes qu’il avait prêtées à intérêt à des voisins ou à des parents, qui, loin d’être en état de rien rembourser du principal, croyaient avoir fait tout ce qu’on pouvait exiger d’eux, lorsque avec une peine extrême ils étaient parvenus à payer l’intérêt annuel. Il aurait donc été inutile de s’adresser à ces débiteurs, même avec l’agrément de son père ; d’ailleurs elle n’aurait pu se procurer cet agrément ou son aide d’aucune manière, sans entrer dans une suite d’explications et de débats qui auraient pu finir par l’empêcher d’accomplir l’entreprise qu’elle avait conçue ; entreprise qui, bien que hasardeuse et hardie, présentait pourtant la seule chance de salut qui restât à sa sœur. Sans s’écarter en rien du respect filial le plus profond, Jeanie sentait intérieurement que les opinions et les sentiments de son père, tout justes et honorables qu’ils fussent, étaient trop peu en harmonie avec l’esprit du siècle, pour qu’il pût être un bon juge des mesures qu’il convenait d’adopter dans cette occasion. Elle-même avec plus de flexibilité dans les manières, et non moins de droiture dans les principes, sentait qu’en lui demandant son consentement à son voyage, elle s’exposait au danger de s’attirer une défense formelle qu’elle ne pouvait violer sans perdre l’espérance que le ciel bénît sa mission et lui en accordât le succès. Elle s’était donc déterminée à ne lui communiquer son entreprise et les motifs qui la lui avaient fait former qu’après son départ. Il aurait été impossible de s’adresser à lui pour de l’argent sans nuire à l’exécution de son projet, et s’exposer à voir discuter la convenance de son voyage. Il ne fallait donc songer à aucun secours pécuniaire de ce côté.

Il lui vint alors la pensée qu’elle aurait pu s’être consultée avec mistress Saddletree à ce sujet ; mais outre qu’il aurait fallu perdre un temps considérable pour recourir à elle maintenant, Jeanie y éprouvait intérieurement une grande répugnance. Son cœur s’empressait de reconnaître les bonnes qualités de mistress Saddletree, et était reconnaissant du tendre intérêt qu’elle prenait aux mal-