Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/26

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L’incident ci-après, qui n’était rien en lui-même, confirma ses appréhensions. Passant un soir, vers la chute du jour, près de la fenêtre ouverte d’un corps-de-garde, ordinairement occupé par quelques-uns de ses plus braves soldats, qui se relevaient l’un l’autre aux portes du palais, il entendit Morgan, soldat connu par sa force, son courage et sa férocité, dire à un de ses compagnons, assis comme lui près du feu : « Gwenwyn a été métamorphosé en prêtre ou en femme ! Quel changement depuis quelques mois ! un de ses soldats était-il autrefois obligé de ronger la viande si près de l’os, et de faire ce que je fais en ce moment en enlevant la peau du morceau que je tiens à la main.

— Patience, reprit son camarade, quand son mariage avec la Normande sera accompli, le butin que nous aurons à faire sur ces rustres de Saxons se réduira alors à si peu de chose, que, semblables à des chiens affamés, nous serons fort heureux d’avaler même les os. »

Gwenwyn n’entendit rien de plus de leur conversation ; mais ces mots suffirent pour alarmer son orgueil comme soldat, et sa jalousie comme prince. Il vit que le peuple qu’il gouvernait était inconstant dans ses affections, supportait difficilement un long repos, et ressentait une haine invétérée contre ses voisins ; il redoutait presque les conséquences de l’inaction à laquelle une longue paix pouvait les réduire. C’était un risque à courir, et il lui sembla que déployer plus de splendeur et de libéralité que jamais, était le meilleur moyen de regagner l’affection chancelante de ses sujets.

Un Normand aurait méprisé la magnificence barbare d’un repas consistant en bœufs et en moutons rôtis entiers, en chèvres et en daims bouillis dans la peau même de l’animal ; car les Normands préféraient la qualité à la quantité des mets, et comme dans leur nourriture ils recherchaient plutôt la délicatesse que l’abondance, ils tournaient en ridicule le goût plus grossier des Bretons, quoique ces derniers, dans leurs banquets, fussent beaucoup plus modérés que les Saxons. Le crw et l’hydromel, que les convives versaient à grands flots, n’auraient pu tenir lieu aux Normands d’un breuvage plus délicat et plus dispendieux, qu’ils avaient appris à aimer dans le midi de l’Europe. Le lait préparé de différentes manières, et qui était une des substances les plus importantes du festin, n’eût point reçu leur approbation, quoique dans les occasions ordinaires il suppléât souvent à tous les autres mets parmi