Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/46

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— Tout un tonneau, répliqua le sommelier, et je l’ai même mis en perce pour vous.

— Bien, répondit Flammock ; prenez un pot de deux pintes, placez le tonneau là, dans cet office, et que chaque soldat de ce château reçoive une quantité égale à celle que je viens de boire. Je sens que cette liqueur m’a fait du bien ; mon cœur saignait en voyant une fumée noire s’élever là-bas de mes moulins à foulon. Je le répète : que chaque homme reçoive deux pintes. Le soldat défendant un fort a besoin de liqueurs fortifiantes.

— Je dois vous obéir, mon cher Wilkin Flammock, dit le sommelier ; mais rappelez-vous que tous les hommes ne se ressemblent pas. La liqueur qui ne fera qu’échauffer votre tête flamande mettra le feu au cerveau d’un Normand ; ce qui ne fera qu’encourager vos compatriotes à défendre les remparts fera sauter les nôtres par-dessus les créneaux.

— Très-bien ; vous connaissez mieux que moi le tempérament de vos compatriotes : donnez-leur les vins et la mesure que vous jugerez convenables ; mais que chaque Flamand reçoive ses deux pintes de vin du Rhin. Et que donnerez-vous à ces coquins d’Anglais ? on nous en a laissé ici un certain nombre. »

Le vieux sommelier réfléchit en se grattant le front. « Quelle prodigalité de liqueur ! dit-il, et cependant je vois que le cas l’exige. Mais, quant aux Anglais, ils forment une race mêlée ; ils ont beaucoup de votre sang-froid allemand et quelque chose de l’impétuosité de ces fougueux Gallois. Les vins légers ne les émeuvent pas, les vins forts les rendent fous et furieux. Que pensez-vous de l’ale, liqueur tonique et fortifiante ? elle réchauffe le cœur sans porter au cerveau.

— L’ale, dit le Flamand, hum ! est-elle bonne, votre ale, sire sommelier ? elle est double, peut-être ?

— Doutez-vous de mon adresse ? dit le sommelier ; mars et octobre me voient depuis trente ans employer, pour la faire, la meilleure orge du Shropshire : au surplus, vous en jugerez. »

Il remplit à une vaste barrique placée dans un coin de l’office le flacon que Wilkin venait de vider, et celui-ci ne l’eut pas plutôt reçu qu’il l’eut avalé dans un instant.

« Excellente liqueur ! dit-il, maître Reinold ; forte et piquante, en vérité. Ces coquins d’Anglais, après en avoir bu, se battront comme des diables : qu’on leur en donne avec leur bœuf et leur pain bis. Maintenant donc, monsieur Reinold, que je vous ai