Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/122

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sance, le pria d’examiner ce curieux morceau du vieux temps.

« Il représente, dit-il, le cimier de notre maison, un ours, comme vous voyez, et rampant ; parce qu’un connaisseur en blason place toujours l’animal dans la position la plus noble : le cheval s’élançant, le limier courant, et une bête féroce in actu ferociori, déchirant et dévorant sa proie. Vous saurez, monsieur, que ce chef-d’œuvre nous est venu d’une manière glorieuse, du wappen brief ou concession d’armes accordée par Frédéric Barberousse, empereur d’Allemagne, à un de mes pères, Godmond Bradwardine ; c’était le cimier d’un géant danois, qu’en Terre-Sainte il tua en champ clos, par suite de quelques propos qui attaquaient la chasteté de la femme ou de la fille de l’empereur ; la tradition ne dit pas précisément laquelle ; et, comme l’a dit Virgile ;


Mutemus clypeos, Danaumque insignia nobis
Aptemus[1].


« Quant à la coupe, capitaine Waverley, elle fut faite d’après l’ordre de saint Duthac, abbé d’Aberbrothock, pour reconnaître le service que lui avait rendu un autre baron de la maison de Bradwardine en défendant vaillamment les droits du monastère contre quelques nobles qui voulaient les usurper. On l’appelle avec raison l’ours béni de Bradwardine (quoique le vieux docteur Doubleit l’ait plaisamment nommée la grande-ourse), et elle passait, dans les bons temps de notre sainte religion, pour avoir certaines vertus mystérieuses et surnaturelles. Je ne donne pas dans de semblables anilia[2], mais il est certain que cette coupe fut toujours regardée comme le morceau le plus précieux de l’héritage paternel de notre famille. On ne s’est jamais servi de cette coupe que dans les jours de grande fête, et c’en est une grande pour moi que de recevoir dans ma maison l’héritier de sir Éverard. Je porte donc ce toast à la prospérité de l’ancienne, puissante et très-honorée famille de Waverley. »

Pendant cette longue harangue, le baron avait eu soin de décacheter et de verser dans son verre, qui tenait presque une pinte d’Angleterre[3] une bouteille de vin de Bordeaux. Après l’avoir remise au sommelier, en lui recommandant de ne pas la remuer,

  1. Changeons nos boucliers, et adaptons à nos personnes les insignes des Grecs. a. m.
  2. Vieilleries. a. m.
  3. Une pinte d’Angleterre tient une demi-bouteille de France. a. m.