Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/86

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elle aimait mieux être appelée, miss Cécilia Stubbs, fille du squire Stubbs, demeurant à la Grange. Je ne sais si c’était par le plus grand hasard du monde, phrase qui, dans la bouche d’une femme, n’exclut pas toujours l’intention préméditée, ou si c’était par conformité de goûts que miss Cécilia rencontra plus d’une fois Édouard dans ses promenades favorites aux Chasses de Waverley : mais quoiqu’il n’eût pas encore eu le courage de l’aborder, les rencontres n’avaient pas été sans effet. Un amant romanesque est une sorte d’idolâtre étrange qui parfois ne prend pas garde au bois dont il façonne l’objet de son culte ; et si la nature a doté cet objet de quelques charmes, il peut, comme dans le conte oriental du Joaillier et du Derviche[1], trouver dans son imagination de quoi la revêtir d’une beauté céleste et de tous les trésors de l’intelligence.

Mais avant que les charmes de miss Cécilia Stubbs en eussent fait une véritable déesse, ou l’eussent placée au moins à côté de sa patronne, sainte Cécile, mistriss Rachel Waverley, d’après quelques soupçons, prit le parti de prévenir sa prochaine apothéose. Les femmes les plus simples et les moins soupçonneuses ont toujours (Dieu les bénisse !), dans ces sortes d’affaires, une finesse instinctive de pénétration qui quelquefois leur fait voir des inclinations qui n’existent pas, mais manque rarement de leur faire découvrir toutes celles dont elles peuvent être les témoins. Mistriss Rachel s’attacha avec beaucoup de prudence non pas à combattre, mais à détourner le danger imminent ; elle démontra à son frère la nécessité de faire connaître à l’héritier de sa maison autre chose que la résidence de Waverley-Honour.

Sir Éverard n’écouta pas d’abord une proposition qui tendait à le séparer de son neveu ; il convenait qu’Édouard s’occupait un peu trop de lecture, mais il avait toujours entendu dire que la jeunesse est l’âge où l’on doit s’instruire, et il ne doutait pas que, quand cette passion se calmerait, son neveu ne se livrât aux plaisirs et aux affaires de la campagne. Il avait souvent, disait-il, regretté de n’avoir pas beaucoup étudié dans sa jeunesse ; il n’eût pas tiré ni chassé avec moins d’adresse, et eût pu faire retentir la salle de Saint-Étienne de discours plus longs que ce non énergique avec lequel il accueillait toutes les mesures du gouvernement, quand, sous le ministère de Godelphin, il était membre de la chambre des communes.

  1. Voir le conte des Sept Amants, d’Hopper.