Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/157

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trer lui faisait un salut amical ou lui adressait un joyeux quolibet : ces bons Cumberlandais riaient en passant et disaient : « Voilà un bon vivant, Dieu le bénisse ! » La jeune fille qui revenait du marché tournait plus d’une fois la tête pour regarder la forme athlétique de l’étranger, si bien en harmonie avec son salut franc et enjoué. Un petit chien basset, son fidèle compagnon, qui rivalisait de joie avec son maître, courait devant lui, faisant mille bonds dans la bruyère, puis revenait sauter autour de lui, comme pour montrer qu’il prenait sa part de plaisir du voyage.

Le docteur Johnson pensait que dans la vie il y a peu de sensations plus agréables que celle que procure le moelleux balancement d’une chaise de poste ; mais celui qui, dans sa jeunesse, a goûté la liberté indépendante d’une promenade à pied, dans une contrée magnifique et par un beau temps, conviendra qu’elle offre un plaisir bien supérieur à celui du grand moraliste. Ce qui avait, en partie, décidé Brown à choisir cette route peu fréquentée, qui conduit en Écosse à travers les solitudes orientales du Cumberland, c’était le désir de visiter les restes de la célèbre muraille romaine, qui sont, dans cet endroit, mieux conservés que dans aucune partie de son étendue. Son éducation avait été imparfaite et peu suivie ; mais, ni les vicissitudes d’une vie semée de traverses, ni les plaisirs de la jeunesse, ni même l’état précaire de sa position personnelle, n’avaient pu le détourner du soin de cultiver son esprit. « Voilà donc cette muraille romaine ! » dit-il en gravissant une hauteur qui dominait toute l’étendue de ce célèbre ouvrage de l’antiquité : « quel peuple que celui dont les travaux exécutés à une des extrémités de son empire, couvrent une telle étendue de terrain, et annoncent tant de grandeur ! Dans la suite des temps, lorsque l’art de la guerre aura changé, à peine retrouvera-t-on quelques traces des travaux de Vauban et de Cohorn[1], tandis que les ruines de ces constructions merveilleuses continueront à exciter l’intérêt et l’étonnement de la postérité ! Les fortifications, les aqueducs, les théâtres, les fontaines, tous les travaux publics des Romains portent le caractère grand, solide et majestueux de leur langue, tandis que les nôtres, de même que nos idiomes modernes, ne semblent composés que de débris laissés par ce peuple-roi ! » Après ces réflexions il se souvint qu’il était à jeun, et il poursuivit sa route en se dirigeant vers une petite auberge où il se proposait de prendre quelque nourriture.

  1. Deux célèbres ingénieurs pour la défense des places fortes. a. m.