Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/25

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son embarras, il parvint à un endroit où la route se partageait en deux branches. S’il y avait eu assez de clarté pour consulter les restes de l’inscription d’un poteau élevé en cet endroit, il n’en eût tiré qu’un médiocre secours, car, suivant la bonne coutume d’Écosse, les inscriptions sont aussitôt effacées que placées. Notre voyageur fut donc forcé, comme un chevalier errant de l’ancien temps, de s’en rapporter à la sagacité de son cheval, qui sans hésitation choisit la branche gauche de la route ; il semblait marcher plus vite qu’auparavant, ce qui fit espérer à Mannering qu’il sentait quelque endroit où il lui serait possible de passer la nuit. Cet espoir cependant ne fut pas promptement accompli, et Mannering, dont l’impatience triplait la longueur du chemin, commença à croire que Kippletringan s’éloignait maintenant devant lui à mesure qu’il avançait.

La nuit était alors très obscure, quoique de temps en temps les étoiles montrassent une lumière tremblante et incertaine ; le silence qui l’environnait n’était interrompu que par le cri lugubre du blitter ou taureau des fondrières, grande espèce de butor, et par les sifflements du vent qui passait sur la prairie solitaire ; à ce bruit vinrent bientôt se joindre les mugissements lointains de l’Océan, dont le voyageur semblait approcher, ce qui n’était pas une circonstance propre à le tranquilliser. Plusieurs routes de cette contrée côtoient les bords de la mer et sont exposées à être couvertes par les marées, qui s’élèvent à une grande hauteur et qui avancent avec une extrême rapidité ; quelques autres sont coupées par des criques et de petites baies qu’on ne peut traverser sans danger qu’à certaines époques de l’année. Aucune de ces circonstances n’était rassurante pour un voyageur qui ne connaissait point la localité, monté sur un cheval fatigué, et pendant une nuit obscure ; Mannering résolut donc de s’arrêter définitivement, pour y passer la nuit, à la première habitation que le hasard lui ferait rencontrer, quelque pauvre qu’elle fût, s’il ne pouvait se procurer un guide pour arriver à ce malencontreux Kippletringan.

Une misérable cabane lui fournit le moyen d’exécuter son projet ; mais ce ne fut pas sans difficulté qu’il parvint à trouver la porte, et pendant quelque temps il frappa sans obtenir d’autre réponse qu’un duo entre une femme et un chien de basse-cour, celui-ci aboyant comme s’il eut voulu vomir ses poumons ; celle-là hurlant en chœur pour le faire taire. Par degrés la voix humaine prit le dessus, mais les cris aigus du chien s’étant changés à l’instant en