Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/72

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Les sentiments que M. Bertram éprouvait n’étaient pas sans amertume. La peuplade qu’il venait de renvoyer ainsi brusquement de son ancienne place de refuge était à la vérité une race vicieuse et indolente ; mais avait-il fait des efforts pour la corriger ? Ils n’étaient pas alors plus méprisables qu’au moment où ils pouvaient se considérer comme une sorte de vassaux, dépendants de sa famille ; et par cela seul qu’il était devenu magistrat, avait-il dû changer ainsi de conduite à leur égard ? Quelques moyens de réforme auraient au moins dû être essayés avant de chasser sept familles à la fois et de les priver d’une espèce de bien-être qui les empêchait du moins de commettre des crimes atroces. Il y avait aussi dans son cœur quelque compassion pour ces figures qui lui étaient si connues et si familières ; et Godefroy Bertram était surtout accessible à ce sentiment par la nature même de son esprit borné qui cherchait ses principaux amusements dans tout ce qui l’environnait. Il allait retourner la tête de son cheval pour continuer sa route, lorsque Meg Merrilies, qui était restée derrière la troupe, se présenta à ses regards surpris.

Elle était debout sur une de ces hauteurs escarpées qui, comme nous l’avons dit auparavant, dominaient la route : aussi était-elle placée beaucoup plus haut qu’Ellangowan quoiqu’il fût à cheval ; et sa haute taille, qui se dessinait sur un ciel pur et bleu, semblait presque surnaturelle. Nous avons dit qu’il y avait dans ses vêtements, ou plutôt dans sa manière de les ajuster, quelque chose d’étrange, qu’elle avait peut-être adopté pour ajouter à l’effet de ses enchantements et de ses prédictions, ou peut-être encore d’après quelques traditions relatives aux costumes de ses ancêtres. Dans ce moment, elle avait une grande pièce d’étoffe de coton rouge roulée autour de sa tête en forme de turban, au-dessous duquel ses yeux noirs brillaient d’un feu extraordinaire ; sa chevelure, longue et mêlée, s’échappait en boucles des plis de cette singulière coiffure. Son attitude était celle d’une sibylle inspirée, et elle tenait de la main droite une jeune branche qui semblait coupée à l’instant.

« Je veux être damné, dit le domestique, si elle n’a point coupé un jeune arbre dans le parc Dukit ! » Le laird ne répondit rien, et continua à regarder fixement cette femme ainsi perchée au-dessus de sa route.

« Passez votre chemin, dit l’Égyptienne, passez votre chemin, laird d’Ellangowan ! passez votre chemin, Godefroy Bertram ! Au-