Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/126

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quoi surtout un sentiment mal étouffé dans mon faible cœur, en dépit de toute ma raison, m’inspire-t-il une secrète joie qu’il l’ait obtenu ? »

Tandis que miss Wardour se reprochait ainsi l’incohérence de ses sentimens, elle vit s’avancer dans l’avenue, non ce jeune libérateur qu’elle redoutait tant, mais le vieux mendiant qui avait joué un rôle si remarquable dans le drame de la soirée précédente.

Elle sonna la domestique, et lui ordonna de faire monter le vieillard.

La domestique revint une minute après. « Il ne veut pas absolument monter, madame ; il dit que ses souliers ferrés n’ont jamais foulé un tapis de sa vie, et, s’il plaît à Dieu, ne s’y poseront jamais. Le ferai-je entrer dans le vestibule ?

— Non ; restez : j’ai bien besoin de lui parler. Où est-il ? » car elle l’avait perdu de vue lorsqu’il s’était approché de la maison.

« Il est assis au soleil dans la cour, sur le banc de pierre qui est adossé à la croisée du parloir d’en bas.

— Dites-lui de rester là ; je vais descendre dans le parloir, et je lui parlerai de la croisée. »

Elle descendit en effet, et trouva le mendiant à demi étendu sur le banc de pierre auprès de la croisée. Édie Ochiltree, quoique vieux et mendiant, avait apparemment quelque sentiment intérieur de l’impression favorable causée par sa haute taille, ses traits imposans, sa barbe et ses cheveux blancs. On remarquait en lui que toutes ses attitudes déployaient, presque toujours avec avantage, ses dons naturels. En ce moment il était à moitié couché, son visage ridé, mais animé et frais encore, et son œil gris et pénétrant élevés vers le ciel : son bâton et sa besace étaient à côté de lui. L’expression de sagacité naturelle et de causticité ironique qui animait ses traits tandis qu’il jetait alternativement ses regards autour de la cour ou les reportait vers le ciel, en aurait fait un modèle pour l’artiste qui eût voulu représenter un vieux philosophe de la secte des cyniques méditant sur la frivolité des occupations des hommes, sur le peu de solidité des biens qu’ils possèdent en ce monde, et levant les yeux vers l’unique source d’où peut dériver un bonheur solide. La tournure élégante et légère de la jeune personne, lorsqu’elle s’approcha de la fenêtre ouverte, mais séparée de la cour par la grille qui, suivant l’usage des anciens temps, garnissait les croisées basses du château, donna à cette scène un intérêt d’un genre différent. Une imagination romanesque aurait pu alors se re-