Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/128

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lui-même, je ne pourrais supporter de rester toujours au même endroit, de voir tous les jours et toutes les nuits les mêmes poutres et les mêmes solives au dessus de ma tête. Et puis j’ai mon humeur qui peut convenir assez bien à un mendiant vagabond, des paroles duquel personne ne se soucie : mais vous savez que sir Arthur a ses bizarreries, et s’il m’arrivait d’en railler ou d’en rire, à coup sûr vous vous fâcheriez contre moi, et alors je serais capable de me pendre.

— Oh ! vous êtes un homme privilégié, dit Isabelle ; nous vous donnerons toute liberté raisonnable. Vous ferez donc bien de vous laisser guider par moi, et de penser à votre âge.

— Mais je ne suis pas encore si vieux, répliqua le mendiant, et hier soir, après avoir exercé quelques momens mes membres, je suis devenu aussi souple qu’une anguille. Et puis, que ferait tout le pays voisin s’il perdait le vieil Édie Ochiltree ? Pensez donc que c’est lui qui porte toutes les nouvelles et les histoires d’une ferme à l’autre ; qui donne des pains-d’épice aux filles, aide les garçons à raccommoder leurs violons, les ménagères à rapiéceter leurs casseroles ; qui fait des épées de jonc et des bonnets de grenadier pour leurs enfans ; qui s’entend à guérir les vaches et les chevaux ; qui sait plus de chansons et de contes à lui tout seul que toute la baronnie ensemble, et qui porte avec lui la joie partout où il va. Non, sur ma foi, ma bonne lady, je ne puis abandonner ma vocation ; ce serait une calamité publique.

— Eh bien, Édie, si vous attachez à votre importance une idée assez forte pour qu’elle ne soit pas même ébranlée par la perspective de l’indépendance…

— Non, non, ma bonne demoiselle ; c’est que je me trouve plus indépendant comme je suis. Je ne demande dans chaque maison qu’autant de viande qu’il m’en faut pour un repas, quelquefois même pour une bouchée : si l’on me refuse dans un endroit, je suis sûr de l’obtenir dans un autre. On ne peut donc pas dire que je dépende de personne en particulier, mais seulement du pays en général.

— Eh bien, promettez-moi du moins que si, en avançant en âge, et devenant moins capable de faire vos tournées ordinaires, vous éprouvez le désir de vous établir d’une manière sûre, c’est à moi que vous le ferez connaître ; et en attendant prenez ceci.

— Non, non, ma bonne lady ; je ne puis prendre tant d’argent à la fois ; c’est contre notre règle ; et puis on dit, quoique peut-être