Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/234

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déjà près du rivage, et Taffril lui-même, enveloppé de son manteau de marin, était assis à la poupe. Il sauta à terre lorsqu’il aperçut le mendiant et Lovel, et serrant cordialement la main à ce dernier, l’exhorta à ne pas se laisser abattre. La blessure de Mac Intyre, lui dit-il, était assez grave, mais nullement désespérée. Il avait eu l’attention de faire transporter le bagage de Lovel à bord de son brick, et il ajouta que si Lovel voulait rester sur le vaisseau, il ne doutait pas que la seule conséquence désagréable de cette affaire serait de se voir condamné à une courte croisière. Quant à lui, il était assez libre de son temps et de ses mouvemens, excepté l’obligation nécessaire de rester dans cette station.

« Nous parlerons de nos mouvemens ultérieurs, dit Lovel, quand je serai à votre bord. »

Puis se retournant vers Édie, il essaya de lui remettre de l’argent dans la main. « Je crois, dit Édie en le lui rendant, que les gens sont devenus fous, ou qu’ils ont fait le vœu de ruiner ma profession, comme on dit que trop d’eau noie le meunier. On m’a offert plus d’or depuis deux ou trois semaines que je n’en avais vu dans toute ma vie. Gardez votre argent, mon garçon, vous en aurez besoin, je vous le garantis, et moi je n’en ai que faire. Mes habits ne sont pas grand’chose, et je reçois tous les ans une robe bleue, neuve, avec autant de schellings que le roi (que Dieu protège) a d’années. Vous et moi servons le même maître, comme vous savez, capitaine Taffril. Me voilà donc pourvu de vêtemens ; et quant à la nourriture et à la boisson, je me la procure en la demandant dans mes tournées, ou quelquefois il m’arrive de m’en passer un jour ; car je me suis fait une loi de ne jamais me payer un repas moi-même. De sorte donc que tout l’argent dont j’ai besoin est pour acheter du tabac à priser, et parfois un verre d’eau-de-vie, par un jour froid, car je ne suis pas un grand buveur pour un mendiant. Reprenez donc votre or, et donnez-moi seulement un beau schelling bien brillant. »

Comme il n’y avait ni éloquence ni prières qui pussent l’emporter avec Édie sur ces fantaisies qu’il regardait comme attachées à l’honneur de sa profession vagabonde, et que sur ce sujet il était aussi inébranlable qu’un rocher, Lovel se vit obligé de reprendre l’argent qu’il lui destinait, et prenant amicalement congé du mendiant en lui serrant la main avec cordialité, il l’assura qu’il était sincèrement reconnaissant des services essentiels qu’il avait reçus de lui, et lui recommanda en même temps le secret sur les circonstances dont ils avaient été témoins pendant la nuit. « N’ayez pas peur, dit