Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/322

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terminées, et il arriva bientôt en vue des chaumières du Musselcraig, qui ne s’élevaient guère au delà d’une demi-douzaine. À leur aspect habituel de malpropreté et de misère elles joignaient en ce moment les tristes attributs qui distinguent une maison de deuil. Les barques étaient toutes rangées sur la plage, et, quoique le temps fût beau et la saison favorable, on n’entendait ni le chant ordinaire aux pêcheurs qui sont en mer, ni le babil des enfans, ni la voix perçante de la ménagère lorsqu’elle chantait à sa porte en raccommodant les filets. Quelques voisins, les uns vêtus d’habits noirs anciens mais presque neufs, les autres dans leurs habillemens ordinaires, mais portant tous sur leur figure l’expression du triste intérêt qu’excitait un malheur si inattendu et si soudain, étaient assemblés à la porte de la chaumière de Mucklebackit, et attendaient qu’on enlevât le corps. Lorsqu’ils virent s’approcher le laird de Monkbarns, ils lui firent place pour entrer, lui ôtant leurs chapeaux et leurs bonnets, quand il passa, avec un air de civilité mélancolique, salut qu’il leur rendit de la même manière.

L’intérieur de la cabane offrait une scène que notre Wilkie seul aurait pu peindre avec ce sentiment exquis de la nature qui caractérise ses ravissantes productions.

Le corps était placé dans la bière qu’on avait posée sur le même bois de lit que le jeune pêcheur occupait pendant sa vie. À quelque distance se tenait le père, dont les traits rudes et fatigués par les outrages des saisons et du temps étaient ombragés de cheveux grisonnans et attestaient qu’il avait affronté plus d’une nuit orageuse, et plus d’un jour semblable à ces nuits. Il paraissait occupé à se retracer sa perte avec ce sentiment de douleur amère qui appartient aux caractères sombres et violens, et qui se tourne presque en haine contre le monde et ceux qui y restent depuis que l’objet de leur affection en a été retiré. Le vieillard avait fait les efforts les plus désespérés pour sauver son fils, et il avait fallu une force supérieure pour l’empêcher de les renouveler à un moment où, sans aucune possibilité de l’arracher à la mort, il aurait seulement péri avec lui. Tous ces souvenirs fermentaient sans doute dans son esprit ; son regard se portait du côté du cercueil, mais d’une manière détournée et comme sur un objet qu’il n’avait pas le courage de fixer et dont il ne pouvait pourtant détacher sa vue. Ses réponses aux questions indispensables qu’on lui faisait de temps à autre étaient brèves, dures et presque farouches. Sa famille n’avait pas encore osé lui adresser un mot de consolation ou de pitié.