Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/347

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à travailler, et qui semblait réparer une barque fort endommagée, amenée sur la plage ; il s’approcha de lui, et fut surpris en voyant que c’était Mucklebackit lui-même. « Je suis bien aise, dit-il d’un ton d’intérêt, je suis bien aise, Saunders, que vous vous soyez senti capable de faire cet effort.

— Et que voulez-vous que je fasse, répondit brusquement le pêcheur, à moins que je ne veuille voir mourir de faim quatre enfans, parce que j’en ai un qui s’est noyé ? C’est bon pour vous autres gentilshommes de rester à la maison avec le mouchoir sur vos yeux quand vous perdez un parent ; mais il faut que des gens comme nous se remettent tout de suite au travail, quand les battemens de nos cœurs seraient aussi violens que les coups de ce marteau. »

Sans s’occuper davantage d’Oldbuck, il continua son travail, et l’Antiquaire, qui se plaisait à observer la nature sous l’influence des passions les plus propres à l’agiter, se tint auprès de lui, attentif et silencieux comme s’il eût suivi les progrès de son ouvrage. Il remarqua plus d’une fois sur les traits rudes de cet homme un mouvement causé par la force de l’habitude, comme s’il se fût préparé à accompagner le bruit de la scie et du marteau par l’air populaire qu’il avait coutume de chanter ou de siffler ; mais avant que le son s’en fût échappé on voyait, au mouvement de ses lèvres et de sa poitrine, que la cause qui l’empêchait de continuer venait tout-à-coup s’offrir à son esprit. À la fin, après avoir raccommodé une ouverture considérable, et sur le point d’en reboucher une autre, ses sensations parurent ne plus lui laisser la faculté de donner à son travail le degré d’attention qu’il demandait. Le morceau de bois qu’il devait clouer se trouva d’abord trop long ; ensuite il le scia trop court, et enfin en choisit un autre qui ne convenait pas mieux à cet usage. À la fin, le jetant avec colère et essuyant de sa main tremblante ses yeux troublés par les larmes : « Il y a une malédiction, dit-il, sur moi ou sur cette vieille chienne de barque, que j’ai halée et maniée sur terre et sur mer, et que j’ai réparée et reclouée pendant tant d’années pour qu’elle finit par noyer mon pauvre Steenie ! qu’elle aille à tous les diables. Il lança son marteau contre la barque, comme si elle eût été la cause volontaire de son malheur ; puis, revenant à lui, il ajouta : « Et pourquoi en voudrais-je à cette barque qui n’a ni âme ni raison ? Hélas ! je n’en ai guère plus moi-même ! Ce n’est qu’un assemblage de vieilles planches pourries clouées ensemble, et mû par le vent et la mer ; et moi je suis