Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/352

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moment où je fus découvert par mon frère. Je ne vous importunerai pas du récit de ma maladie et de mon rétablissement ; je ne m’arrêterai pas non plus sur le moment où, me hasardant, bien long-temps après, de demander ce qu’était devenue l’infortunée qui avait partagé mon malheur, j’appris que son désespoir lui avait fait trouver un remède terrible à tous les maux de la vie. La première circonstance qui me força à réfléchir, fut le bruit qui me parvint de l’enquête que vous faisiez sur cette cruelle affaire, et vous ne pouvez plus vous étonner que, dans la croyance qu’on m’avait donnée, je me sois joint à ma mère et à mon frère dans les moyens qu’ils avaient pris pour arrêter vos recherches. Les renseignemens que je leur donnai sur les circonstances et les témoins de notre mariage secret les mirent à même de déjouer les efforts de votre zèle. L’ecclésiastique et les témoins, qui n’avaient agi dans cette affaire que pour se rendre agréables au puissant héritier de Glenallan, ne pouvaient manquer d’être accessibles à ses promesses et à ses menaces, et on leur fit un sort tel qu’ils n’eurent pas de difficulté à quitter ce pays pour un autre. Quant à moi, monsieur Oldbuck, continua l’infortuné lord, depuis ce moment je n’ai cessé de me considérer comme rayé du nombre des vivans, et n’ayant plus rien à faire avec ce monde. Ma mère employa tous les moyens possibles de me réconcilier avec la vie, même par des insinuations où je ne puis voir maintenant que l’intention de jeter des doutes dans mon esprit sur l’horrible histoire qu’elle-même avait forgée, moyens qui me paraissaient alors des inventions ingénieuses de la tendresse maternelle ; mais je m’interdirai tout reproche, elle n’est plus ; et, comme l’a dit sa misérable complice, elle ne savait pas que le dard était empoisonné, et à quel point il devait s’enfoncer dans mon cœur, quand elle le lança d’abord. Ah ! croyez-moi, monsieur Oldbuck, si durant ces vingt années un être digne de votre pitié s’est traîné sur la face de la terre, c’est moi qui suis ce malheureux. Mes alimens ne m’ont pas nourri, mon sommeil ne m’a pas délassé, mes prières mêmes ne m’offraient pas de consolation. Tout ce qui fortifie l’homme et lui est nécessaire s’est converti pour moi en poison. Les rares et courtes relations que j’étais forcé d’avoir avec les étrangers m’étaient insupportables. Il me semblait que j’apportais la souillure d’un crime contre nature et d’un genre inexprimable, au milieu d’êtres innocens et heureux. Dans d’autres momens, je me livrais à des pensées toutes différentes : j’aurais voulu me plonger dans les périls de la guerre, ou affronter les dangers qu’of-