Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/358

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Atteignant alors cet intéressant in-folio (des commentaires de Coke l’Écossais sur Littleton), il l’ouvrit comme par instinct au dixième titre du livre second, et s’enfonça bientôt dans une discussion obscure sur les revenus temporels des bénéfices.

On servit enfin ce repas au sujet duquel miss Oldbuck avait exprimé tant d’inquiétudes, et le comte de Glenallan, depuis l’époque de son malheur, s’assit pour la première fois à une table étrangère, entouré d’étrangers. Il éprouvait la sensation d’un homme qui rêve ou dont la tête n’est pas encore remise des effets d’une potion enivrante. Soulagé comme il l’avait été le matin de l’image de ce crime qui effrayait depuis si long-temps son imagination, le poids de ses chagrins lui paraissait plus léger et plus supportable, mais il était encore hors d’état de se mêler à la conversation qu’on tenait autour de lui. Elle était, à la vérité, d’un genre bien différent de celle à laquelle il avait été habitué. La brusquerie d’Oldbuck, les fatigantes apologies de sa sœur, le lourd pédantisme de l’ecclésiastique, et la vivacité du jeune militaire qui sentait plus les manières du camp que celles de la cour : tout cela était nouveau pour un noble lord qui avait vécu depuis tant d’années dans la retraite la plus triste et la plus profonde, et auquel les usages du monde semblaient aussi étranges qu’importuns. Miss Mac Intyre seule, par sa politesse et sa simplicité naturelles, lui paraissait appartenir à cette classe de la société à laquelle il avait été accoutumé dans des jours plus heureux et déjà bien éloignés.

La manière d’être de lord Glenallan ne surprit pas moins la compagnie. Quoiqu’on eût servi un dîner simple mais excellent (car, comme le disait M. Blattergowl, il était impossible de trouver jamais le garde-manger de miss Griselda au dépourvu), et quoique l’Antiquaire vantât son meilleur porto et le comparât au falerne d’Horace, lord Glenallan se montra inaccessible aux séductions de l’un et de l’autre. Son domestique plaça devant lui un petit plat composé de différens légumes, le même dont la cuisson avait tant alarmé miss Griselda, et qui avait été préparé avec le soin et la propreté la plus scrupuleuse. Il mangea très médiocrement de ce mets, et un verre d’eau pure fraîchement tirée de la fontaine compléta ce repas frugal. Tel avait été le régime de Sa Seigneurie, dit son domestique, depuis bien des années, excepté les jours de grande fête de l’Église où on recevait au château de Glenallan les gens de la première distinction. Dans ces occasions il se relâchait un peu de son austérité habituelle et se permettait un ou deux verres de vin.