Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/54

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que habituellement fort tenace dans ses opinions, il aurait été forcé d’abandonner celle qu’il avait formée dans le cas actuel, sans un passage du rapport de Caxon. « On entendait souvent, disait-il, le jeune gentilhomme se parler à lui-même et gesticuler comme un de ces gens de théâtre. »

Rien cependant, outre cette circonstance, ne vint confirmer la supposition de M. Oldbuck, et chacun se demandait, comme une question très embarrassante à résoudre, ce qu’un jeune homme bien élevé pouvait venir faire à Fairport, où il n’avait ni amis, ni parens, ni emploi d’aucune espèce. Le vin d’Oporto et le whist ne semblaient avoir aucun charme pour lui. Il avait refusé de dîner à la table des volontaires qui venaient d’être incorporés, et évité de se joindre aux réunions de l’un et de l’autre des deux partis qui divisaient alors Fairport comme ils divisaient des endroits plus importans. Il tenait trop peu de l’aristocrate pour faire nombre au club des bleus royaux[1], et il ne tenait pas assez du démocrate pour fraterniser avec une société affiliée de soi-disant amis du peuple que le bourg avait aussi le bonheur de posséder. Il avait les cafés en aversion, et, je suis fâché de l’ajouter, peu de penchant pour la table à thé. Bref, depuis que ce nom était de mode dans les romans, c’est-à-dire depuis long-temps, il n’y avait jamais eu de M. Lovel dont on sût si peu de chose de positif, et, pour achever le portrait, aux négatives duquel on fût obligé d’avoir si souvent recours.

Une de ces négatives néanmoins était importante. Personne ne disait de mal de Lovel ; et s’il en eût existé, il serait promptement devenu public ; car le désir naturel de médire de son prochain n’aurait été combattu, dans ce cas, par aucun sentiment d’intérêt pour un être si insociable. Dans une seule circonstance, il pensa devenir suspect. Comme il faisait souvent usage de son crayon dans ses promenades solitaires, et qu’il avait dessiné plusieurs vues du port dans lesquelles la tour des signaux et même les quatre batteries de canon avaient trouvé leur place, quelques amis zélés du public firent circuler le bruit que ce mystérieux étranger était certainement un espion français. Le shérif alla en conséquence faire ses complimens à M. Lovel ; mais dans l’entrevue qui suivit, il paraît qu’il dissipa entièrement les soupçons du magistrat, puisque, non seulement il ne souffrit pas qu’on le troublât dans sa retraite, mais on répandit même qu’il lui avait envoyé deux invitations à dîner qui avaient

  1. Club qui était formé de ministériels. a. m.