Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/136

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me mena à la porte où je trouvai je ne sais plus qui11. »

Avec un tel caractère, que devoit être Condé, envers ceux qui l’avoient offensé, même légèrement ? inexorable. Tel il fut pour Saint-Évremond. Le grand Condé, qui aimoit à rire, qui étoit fort caustique, ei qui avoit beaucoup d’esprit, avoit toléré la plaisanterie acérée, et très-souvent impertinente, de Voiture, chez Mme de Rambouillet, se bornant à remarquer que Voiture seroit insupportable s’il étoit de condition ; le grand Condé ne put souffrir de Saint-Évremond, bon gentilhomme, une raillerie dont lui-même avoit été le provocateur. Saint-Évremond a raconté que le Prince se plaisoit beaucoup, à cette époque (1648), à chercher le ridicule des hommes ; c’étoit par là que l’esprit fin et railleur de Saint-Évremond et du comte de Miossens avoit été de son goût. Il s’enfermoit souvent avec eux, pour se livrer sans gêne, au plaisir d’une conversation piquante et satirique. Un jour, dit Des Maizeaux, ces messieurs sortant de chez le Prince, il échappa à M. de Saint-Évremond de demander à M. de Miossens s’il ne croyoit pas que Son Altesse, qui aimoit si fort à découvrir le ridicule des autres, n’eût lui-même le sien ; et ils convinrent que cette passion de chercher les ridicules d’autrui, lui donnoit un ridicule d’une espèce toute nouvelle. Cette observation de mœurs leur parut instructive, quoique plaisante, et ils ne résistèrent pas à la tentation de la communiquer à leurs amis. Le Prince ne tarda


11. Mémoires de Mlle de Montpensier, t. IV, p. 254 et suiv., édit. de M. Chéruel.