Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/146

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la première édition du traité de la Sagesse est de 1600. Charron, esprit supérieur, dont on ne fait point assez de cas aujourd’hui, héritier direct du scepticisme de Montaigne son maître, prêtre et même grand vicaire, député du clergé : Charron a fait, dans la voie du scepticisme, un pas de plus que Montaigne. Chez ce dernier, le doute n’a que la forme d’une émancipation de la pensée. « Je me suis ordonné, dit-il, d’oser dire tout ce que j’ose faire et penser. » Charron, au contraire, a construit un système, avec prudence et méthode. Il coordonne la doctrine du doute ; il fait école, et La Mothe le Vayer, d’abord, puis Saint-Évremond, vont le suivre dans cette voie nouvelle. Charron se pose en homme indépendant et de juste milieu. Aussi est-il détesté de tous les extrêmes de son temps. « Ils aiment bien mieux, dit-il, un affirmatif testu, et contraire à leur parti, qu’un homme modeste et paisible qui doute et surseoit son jugement. » Ainsi parle et agit Saint-Évremond, entre les catholiques intolérants et les réformés fanatiques, entre les jansénistes et les jésuites. Se dégager des liens de la théologie, fut l’un des premiers efforts du scepticisme françois. Charron s’applique, avant tout, à désintéresser la religion. On a cru même que tel étoit l’objet de son livre des trois Vérités ; pensant y avoir réussi, sa hardiesse n’a plus de limites. Il ose dire que l’immortalité de l’âme est « la chose la plus utilement creue, la plus foiblement prouvée ; aucunement establie par raisons et moyens humains, mais proprement et mieux establie par le ressort de la religion. » De même, Saint-Évremond écrivoit, dans un de ses premiers ouvrages