Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/150

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le mange. » Pour les philosophes, c’est l’honneur de l’humanité, l’assemblée des sages ; c’est à eux que son discours s’adresse ; c’est pour eux seuls qu’est faite la liberté. Toutefois, il veut qu’on ménage le vulgaire et qu’on sauve avec lui les apparences. Il enverrait, sans hésiter, comme Socrate, sacrifier un coq à Ésculape. Même pensée, et à peu près même langage, dans Saint-Évremond, sauf qu’au mépris du commun il joint une petite estime des docteurs. Il est philosophe du monde, et non pas philosophe d’école. Il professe le respect des bienséances, en matière de religion, et il accable les gens d’école de ses traits acérés. Aussi la Bruyère dit-il ironiquement, dans son analyse de l’esprit fort, avec une intention qu’on dit être à l’adresse de Saint-Évremond : « Il ne faut pas que, dans une certaine condition, avec une certaine étendue d’esprit, et de certaines vues, l’on songe à croire, comme les savants et le peuple. »

Charron et Saint-Évremond, chacun à leur manière, ont parlé langage de chrétiens, étant tout autres en leur âme, ainsi qu’avoit fait Montaigne, dans l’apologie de Raimond Sebond, œuvre d’ironie, où circule aux yeux de tout clairvoyant, un esprit aussi anti-chrétien qu’il est possible. Et cependant la forme naïve de Montaigne avoit fait des dupes, et au premier rang l’un des plus grands esprits du dix-septième siècle, Pascal, dont la passion sceptique fut trompée aux dehors de bonhomie de Montaigne, comme on peut le voir dans ce curieux entretien avec M. de Sacy, qui nous a été conservé. Pascal, qui a douté de tout, a cru Montaigne sur