Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/156

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Bernier, il dit : « Quelques-uns achèvent de se corrompre par de longs voyages, et perdent le peu de religion qui leur restoit : ils voient de jour à autre un nouveau culte, diverses mœurs, diverses cérémonies. Ils ressemblent à ceux qui entrent dans les magasins, indéterminés sur le choix des étoffes qu’ils veulent acheter : le grand nombre de celles qu’on leur montre les rend plus indifférents ; elles ont chacune leur agrément et leur bienséance ; ils ne se fixent point, ils sortent sans emplette. » Nous devons dire que le bon esprit de Saint-Évremond s’est abstenu de ce genre d’argument, qui a fort touché Montaigne, entraîné Charron, et complètement égaré Bernier. En effet, loin que l’aspect de la diversité des cultes éloigne du sentiment religieux, elle y ramène : car, comme dit la Bruyère : « Toute religion est une crainte respectueuse de la Divinité. » Or, à cette hauteur de vue, la diversité n’est autre chose que le témoignage des peuples, varié dans la forme, unanime dans le fond, en faveur de l’existence de Dieu. Saint-Évremond nous dit de même : « Ce que nous appelons aujourd’hui les religions, n’est, à le bien prendre, que différence dans la religion, et non pas religion différente. » Saint-Évremond n’est point athée, il est sceptique, ce qui n’est pas la même chose. On lui surprend un bon vouloir pieux. Il est même chrétien par sentiment, catholique par bienséance. Cette bienséance étoit comme une affaire d’honneur dans la bonne compagnie du dix-septième siècle. On l’observoit même à huis clos ; à la différence du dix-huitième siècle, où le bon goût fut, un certain temps, de montrer qu’on ne croyoit à rien.

L’aristocratie françoise qui s’étoit fait du respect