Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/171

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ménage de ce monde. Les jansénistes parurent bien autrement dangereux à Richelieu que les épicuriens. On n’exigeoit de ceux-ci que le respect extérieur : ils promirent de le garder, surtout après les exemples de sévérité dont j’ai parlé. Mais cette philosophie, qui sembloit être partie du bon sens pratique, aboutit bientôt à la folie. Elle attaqua toute certitude ; elle ébranla les fondements de la société civilisée ; et, à un jour venu, on n’eut plus, pour tout renverser, qu’à refuser le respect, qui étoit la seule chose qui restât.

Soyons justes toutefois envers Saint-Évremond. On ne sauroit lui imputer l’abus qu’on a fait de ses principes ; il écrivoit pour un public d’élite, où les avantages de l’éducation pouvoient balancer le danger des maximes ; et d’ailleurs il n’est aucune doctrine humaine qu’on puisse maintenir toujours dans ses justes limites. Sa pratique est sensée, douce et facile ; bien qu’il ait le tort de l’isoler de l’élévation morale : « Pécher, écrit-il à Ninon, c’est ne savoir pas vivre, et choquer la bienséance, autant que la religion. » Il se gouverne avec calme, éloigné des chimères et de toute exagération, sensible à tous les plaisirs, et ne s’en refusant aucun, mais sage ménager des ressorts d’une existence trop courte ; révérant Dieu dans toutes ses œuvres par une sorte d’honnêteté philosophique, et s’appliquant à vivre avec une délicatesse recherchée, selon les inspirations épurées de la nature ; croyant au droit, cependant : l’observant en toute chose, et « satisfait, disoit-il, après avoir vécu dans la contrainte des cours, d’achever sa vie dans un pays de liberté, où les lois mettoient à couvert des volontés