Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/290

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que le respect de sa personne et de sa liberté ; dominant les situations les plus difficiles, pour une femme, par l’autorité supérieure de son esprit, par l’ascendant de sa politesse, et par l’avantage qu’elle se donna de l’usage du monde le plus consommé. Tel est le spectacle que cette fille étonnante, orpheline, livrée à elle-même, sans famille, et sans autre appui que l’esprit et la beauté, a donné à la France et à l’Europe, pendant plus de soixante années. Et comme en France, où l’esprit est le plus populaire des pouvoirs, tout le monde veut donner encore de l’esprit à ceux qui en ont déjà beaucoup, on a prêté à Ninon une foule de traits ou de mots, réputés spirituels, dont elle a toujours été fort innocente. On lui a fait le même honneur qu’à Rivarol et à M. de Talleyrand.

Quoi qu’il en soit, elle a vu à ses pieds la pleïade entière des hommes illustres de son temps. Tout ce que la cour a eu de plus distingué, les lettres de plus poli, le parlement de mieux élevé, la finance de plus brillant, a recherché les bonnes grâces de cette femme célèbre. Ce fut un titre à l’estime, dans le monde, Mme de Coulanges nous l’atteste, que d’être reçu chez Mlle de Lenclos. La faveur en fut plus ambitionnée qu’elle ne fut accordée, et s’il est vrai, comme on l’a dit, qu’elle changeât d’amant au gré de ses caprices, et que d’un amant congédié elle en fît un ami sûr et dévoué : quel empire, quel charme, quelle influence de cœur et de caractère il faut supposer à cette femme, pour avoir conservé l’estime, et gardé les attachements, au milieu de tels périls ; et pour avoir résolu le problème, répute chimérique, de la conversion de l’amour en amitié !