Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quant à la lettre relative à la chambre jaune de Ninon, je conserve aussi des doutes. Ninon étoit réservée, même en propos. Elle a peu écrit, et ce qui est imprimé, pour être d’elle, est d’une bienséance parfaite, et conforme à ses maximes. Elle a fait dire un mot piquant à Chapelle, en réponse à une épigramme de mauvais goût ; mais elle ne l’auroit pas écrit. D’ailleurs, qu’auroit-elle appris à Saint-Évremond que celui-ci ne sût aussi bien qu’elle ? Et, à quelle époque, Saint-Évremond auroit-il eu cette curiosité ? Quarante ans après, en 1699, lorsque le duc de Tallard a été en ambassade, en Angleterre, emmenant avec lui l’abbé Hautefeuille. Le fait peut être vrai : il n’est pas vraisemblable. Je croirois volontiers la lettre en question fabriquée avec le propos rapporté par Fontenelle27.

Quoi qu’il en soit, après le mariage de Mme Scarron, sa familiarité avec Ninon de Lenclos n’a souffert aucune atteinte. Ces deux esprits se comprenoient parfaitement, et, la pratique à part, il y


27. Voyez les Mémoires de Mme de Maintenon, tome I, p. 115, édit. de 1757, et surtout p. 181, où la phrase finale de la lettre de M. Feuillet est rapportée par la Beaumelle, comme apocryphe. Elle couroit déjà le monde. La Beaumelle rappelle, à cet égard, une autre lettre de Ninon, dont il a omis la date, et dont je tiens les premières lignes pour suspectes. « Elle (Mme Scarron) étoit vertueuse, moins par vice de tempérament, que par foiblesse d’esprit. J’aurois voulu la guérir, mais elle craignoit trop Dieu. Nous nous rapprochions tous les jours, nous ne nous unissions jamais. Si elle avoit suivi mes conseils, elle ne seroit pas montée où vous la voyez : mais elle eût été plus heureuse. » — La Beaumelle a été justement réhabilité par M. de Montmerqué : il a travaillé sottement, mais sur pièces authentiques.