Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/394

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honnêteté même a contribué à compléter l’effet de son bannissement. On ne le trouve mêlé à aucune des intrigues ourdies par les réfugiés, soit en Hollande, soit en Angleterre. À la révocation de l’édit de Nantes, il revoit de vieux amis, tels que les Ruvigny13, fugitifs comme lui, mais il demeure étranger à leurs ressentiments. Il est donc resté un émigré très-regretté, objet de quelques attachements, objet de beaucoup plus d’oublis.

Et cependant loin de se laisser abattre, son esprit s’est élevé davantage. En butte à la colère d’un roi, il est demeuré calme, résigné, respectueux. Il écrit au marquis de Créqui, qu’après avoir vécu dans la contrainte des cours, il se console d’achever sa vie dans la liberté d’une république, où s’il n’y a rien à espérer, il n’y a du moins rien à craindre. Il étoit alors en Hollande. Ses sentiments ne changèrent pas, en Angleterre. Son talent, soutenu par sa sérénité naturelle, a pris même, au sein de la civilisation britannique, où il a passé le reste de ses jours, une indépendance et une direction, qui sans rien avoir jamais de ce qu’on est convenu de nommer l’esprit ou le style réfugié, se ressent tout à la fois, pourtant, de la liberté politique qui lui sert de refuge, et du caractère particulier de la littérature angloise, au dix-septième siècle. Il sera le précurseur de Montesquieu, dans l’histoire politique des Romains ; et dans le domaine de la littérature, dans la poétique théâtrale spécialement, il prendra les devants sur la critique françoise de


13. Sur l’émigration des Ruvigny, voy. Saint-Simon. M. H. Martin a confondu le père et les enfants, notamment dans la relation de la bataille de Nerwinde.