Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/69

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blessure, accourut auprès du prince, et lui offrit des soins qui furent reçus avec satisfaction. Le prince lui confia comme l’intendance de son esprit, et Saint-Évremond remplit avec succès la charge de le distraire, pendant sa convalescence, par des lectures intéressantes, agréables, ou profitables. Voulant d’abord le divertir, il lui lut Rabelais ; mais ce prince, qui étoit tout grandeur, y prit peu de plaisir ; son esprit fut révolté des grossièretés qui déparent dans Rabelais tant de traits inimitables et un talent si original. Saint-Évremond réussit mieux en présentant Pétrone, parce qu’avec la joyeuseté du sujet, qui ne déplaisoit point, il y avoit une bonne part de délicatesse et de goût. Pétrone a été l’un des auteurs anciens pour lesquels l’aristocratie lettrée de cette époque a montré le plus d’affection. Bussy adoroit ce bel esprit libertin de l’ancienne Rome, et il l’a souvent traduit ou imité avec bonheur. Saint-Évremond nous a laissé lui-même une étude critique où l’on voit toute l’inclination des beaux esprits de son temps pour le peintre piquant des débauches romaines sous l’Empire.

Indépendamment de ses qualités militaires, le duc d’Enghien étoit doué d’une intelligence vive, délicate, et très-cultivée ; il aimoit les lettres, non-seulement pour les goûter, mais encore pour s’y exercer heureusement. « Il avoit beaucoup d’esprit et de gaieté, dit M. Cousin, et il faisoit très-volontiers la partie des beaux esprits qui l’entouroient. Au milieu de la Fronde, quand la guerre se faisoit aussi avec des chansons, il en avoit composé plus d’une, marquée au coin de son humeur libre et moqueuse. » N’y eût-il que le fameux triolet :