Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/358

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J’avoue que ces sortes de saisissements se font en nous, malgré nous-mêmes, par un défaut de tempérament : mais puisque Virgile pouvoit former celui d’Énée à sa fantaisie, je m’étonne qu’il lui en ait donné un, susceptible de cette frayeur. On fait honneur aux philosophes des vices de complexion, quand ils savent les corriger par la sagesse. Socrate avoue aisément de méchantes inclinations que la philosophie lui a fait vaincre. Mais la nature doit être toute belle dans les héros ; et si, par une nécessité de la condition humaine, il faut qu’elle pèche en quelque chose, leur raison est employée à modérer des transports, non pas à surmonter des foiblesses. Souvent même leurs impulsions ont quelque chose de divin qui est au-dessus de la raison. Ce qu’on appelle déréglement dans les autres, n’est en eux qu’une pleine liberté, où leur âme se déploie dans toute son étendue. On fait de leur impétuosité cette vertu héroïque qui emporte notre admiration sans reconnoître notre jugement. Mais les passions basses les déshonorent ; et si l’amitié exige quelquefois d’eux les craintes et les douleurs, (ce qu’on voit d’Achille pour Pa-

    Ô trois et quatre fois mort bienheureuse et belle,
    La mort de ces Troyens, qui d’une ardeur fidèle,
    Combattant près des murs de leur triste cité
    Aux yeux de leurs parents perdirent la clarté !