Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/76

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Mais ici, le peuple romain a soutenu le peuple romain ; ici, le génie universel de la nation a conservé la nation ; ici, le bon ordre, la fermeté, la conspiration générale au bien public, ont sauvé Rome, quand elle se perdoit par les fautes et les imprudences de ses généraux.

Après la bataille de Cannes, où tout autre État eût succombé à sa mauvaise fortune, il n’y eut pas un mouvement de foiblesse parmi le peuple, pas une pensée qui n’allât au bien de la république. Tous les ordres, tous les rangs, toutes les conditions s’épuisèrent volontairement. Les Romains apportoient avec plaisir ce qu’ils avoient de plus précieux, et gardoient à regret ce qu’ils étoient obligés de se laisser pour le simple usage. L’honneur étoit à retenir le moins, la honte à garder le plus, dans leurs maisons. Lorsqu’il s’agissoit de créer les magistrats, la jeunesse, ordinairement prévenue d’elle-même, consultoit avec docilité la sagesse des plus vieux, pour donner des suffrages plus sainement.

Les vieux soldats venant à manquer, on donnoit la liberté aux esclaves, pour en faire de nouveaux ; et ces esclaves, devenus Romains, s’animoient du même esprit de leurs maîtres pour défendre une même liberté. Mais voici une grandeur de courage qui passe toutes les autres qualités, quelque belles qu’elles puissent