Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/37

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sens. Gerson[1] a déjà écrit contre Rusbrock[2], auteur mystique, dont l’intention était bonne apparemment, et dont les expressions sont excusables ; mais il vaut mieux écrire d’une manière qui n’ait point besoin d’être excusée. Quoique j’avoue aussi que souvent les expressions outrées, et pour ainsi dire poétiques, ont plus de force pour toucher et pour persuader que ce qui se dit avec régularité.

10. L’anéantissement de ce qui nous appartient en propre, porté fort loin par les quiétistes, pourrait bien être aussi une impiété déguisée chez quelques-uns ; comme ce qu’on raconte du quiétisme de Foë[3], auteur d’une grande secte de la Chine, lequel, après avoir prêché sa religion pendant quarante ans, se sentant proche de la mort, déclara à ses disciples qu’il leur avait caché la vérité sous le voile des métaphores, et que tout se réduisait au néant[4], qu’il disait être le premier principe de toutes choses. C’était encore pis, ce semble, que l’opinion des averroïstes. L’une et l’autre doctrine est insoutenable et même extravagante ; cependant quelques modernes n’ont point fait difficulté d’adopter cette âme universelle et unique qui engloutit les autres. Elle n’a trouvé que trop d’applaudissements parmi les prétendus esprits forts, et le sieur de Prelssac, soldat et homme d’esprit, qui se mêlait de philosophie, l’a étalée autrefois publiquement dans ses discours. Le système de l’harmonie préétablie est le plus capable de guérir ce mal. Car il fait voir qu’il y a nécessairement des substances simples et sans étendue, répandues par toute la nature ; que ces substances doivent toujours subsister indépenamment de tout autre que de Dieu, et qu’elles ne sont lamais séparées de tout corps organisé. Ceux qui croient que des âmes capables de sentiment, mais incapables dc raison, sont mortelles, ou qui soutiennent qu’il n’y a que les âmes raisonnables qui

  1. Gerson (Jean de), chancelier de l’Université de Paris et illustre théologien du xve siècle, né à Gerson, près de Rhétel, en 1363, mort à Lyon en 1429. ]1 est surtout célèbre par sa participation au concile de Constance. Ses œuvres complètes ont été publiées à Cologne, 1483, 4 vol. in-fol. Plus tard, Richeren donna une édition plus complète en 1606. On y remarque sa Tlieoloyia myslicv, sa Lettre contre Russbroec/c, et toute l’affaire relative au cordelier Jean Petit. r. J.
  2. RusunocK (Jean), célèbre mystique, né près de Bruxelles en 1294, mort en 1381. Ses ouvrages, écrits en flamand, ont été traduits en latin par Surius (Cologne, 1552, 1609, 1692). On cite le Liber de vitû contemplative !, critiqué par Gerson, et le de Napliis, en trois livres. P. i
  3. Fo en chinois est le nom du Bouddha, fondateur de la religion bouddhique.
  4. Nirvana. On dispute encore sur le sens de ce mot. Voir le Bouddha et sa doctrine, par M. B. Saiut-Ililaire, elle Nirvana bouddhique, par M. Obry. P. J.