Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/54

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l’a bien fait. Ce n’est donc pas que nous n’ayons aucune notion de la justice en général, qui puisse convenir aussi à celle de Dieu ; et ce n’est pas non plus que la justice de Dieu ait d’autres règles que la justice connue des hommes, mais c’est que le cas dont il s’agit est tout différent de ceux qui sont ordinaires parmi les hommes. Le droit universel est le même pour Dieu et pour les hommes ; mais le fait est tout différent dans le cas dont il s’agit.

36. Nous pouvons même supposer ou feindre (comme j’ai déjà remarqué) qu’il y ait quelque chose de semblable parmi les hommes à ce cas qui a lieu en Dieu. Un homme pourrait donner de si grandes et de si fortes preuves de sa vertu et de sa sainteté, que toutes les raisons les plus apparentes que l’on pourrait faire valoir contre lui pour le charger d’un prétendu crime, par exemple, d’un larcin, d’un assassinat, mériteraient d’être rejetées comme des calomnies de quelques faux témoins, ou comme un jeu extraordinaire du hasard, qui fait soupçonner quelquefois les plus innocents. De sorte que dans un cas où tout autre serait en danger d’être condamné, ou d’être mis à la question (selon les droits des lieux), cet homme serait absous par ses juges d’une commune voix. Or, dans ce cas, qui est rare en effet, mais qui n’est pas impossible, on pourrait dire en quelque façon (sano sensu 89) qu’il y a un combat entre la raison et la foi, et que les règles du droit sont autres par rapport à ce personnage que par rapport au reste des hommes ; mais cela bien expliqué signifiera seulement que des apparences de raison cèdent ici à la foi qu’on doit à la parole et à la probité de ce grand et saint homme, et qu’il est privilégié par-dessus les autres hommes, non pas comme s’il y avait une autre jurisprudence pour lui, ou comme si l’on n’entendait pas ce que c’est que la justice par rapport à lui, mais parce que les règles de la justice universelle ne trouvent point ici l’application qu’elles reçoivent ailleurs, ou plutôt parce qu’elles le favorisent, bien loin de le charger, puisqu’il y a des qualités si admirables dans ce personnage, qu’en vertu’ d’une bonne logique des vraisemblances on doit ajouter plus de foi à sa parole qu’à celle de plusieurs autres.

37. Puisqu’il est permis ici de faire des fictions possibles, ne peut-on pas s’imaginer que cet homme incomparable soit l’adepte ou le possesseur

De la bénite pierre
Qui peut seule enrichir tous les rois de la terre,