Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/6

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bonté ; mais elles sont tout entières en Dieu. L’ordre, les proportions, l’harmonie nous enchantent, la peinture et la musique en sont des échantillons ; Dieu est tout ordre, il garde toujours la justesse des proportions, il fait l’harmonie universelle : toute la beauté est un épanchement de ses rayons.

Il s’ensuit manifestement que la véritable piété, et même la véritable félicité, consiste dans l’amour de Dieu, mais dans un amour éclairé, dont l’ardeur soit accompagnée de lumière. Cette espèce d’amour fait naître ce plaisir dans les bonnes actions qui donne du relief à la vertu, et rapportant tout à Dieu, comme au centre, transporte l’humain au divin. Car en faisant son devoir, en obéissant à la raison, on remplit les ordres de la suprême raison, on dirige toutes ses intentions au bien commun qui n’est point différent de la gloire de Dieu ; l’on trouve qu’il n’y a point de plus grand intérêt particulier que d’épouser celui du général, et on se satisfait à soi-même en se plaisant à procurer les vrais avantages des hommes. Qu’on réussisse ou qu’on ne réussisse pas, on est content de ce qui arrive, quand on est résigné à la volonté de Dieu, et quand on sait que ce qu’il veut est le meilleur : mais avant qu’il déclare sa volonté par l’événement on tâche de la rencontrer, en faisant ce qui paraît le plus conforme à ses ordres. Quand nous sommes dans cette situation d’esprit, nous ne sommes point rebutés par les mauvais succès, nous n’avons du regret que de nos fautes ; et les ingratitudes des hommes ne nous font point relâcher de l’exercice de notre humeur bienfaisante. Notre charité est humble et pleine de modération, elle n’affecte point de régenter : également attentifs à nos défauts et aux talents d’autrui, nous sommes portés à critiquer nos actions, et à excuser et redresser celles des autres : c’est pour nous perfectionner nous-mêmes, et pour ne faire tort à personne. Il n’y a point de piété où il n’y a point de charité, et sans être officieux et bienfaisant, on ne saurait faire voir une dévotion sincère.

Le bon naturel, l’éducation avantageuse, la fréquentation de personnes pieuses et vertueuses, peuvent contribuer beaucoup à mettre les âmes dans cette belle assiette ; mais ce qui les y attache le plus, ce sont les bons principes. Je l’ai déjà dit, il faut joindre la lumière à l’ardeur, il faut que les perfections de l’entendement donnent l’accomplissement à celles de la volonté. Les pratiques de la vertu, aussi bien que celles du vice, peuvent être l’effet d’une simple habitude ; on y peut prendre goût ; mais quand la vertu est raisonnable, quand elle