Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/86

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que la liberté est combattue (en apparence) par la détermination ou par la certitude, quelle qu’elle soit ; et cependant le dogme commun de nos philosophes porte que la vérité des futurs contingents est déterminée. La prescience de Dieu rend tout l’avenir certain et déterminé ; mais sa providence et sa préordiuation, sur laquelle la prescience même parait fondée, fait bien plus : car Dieu n’est pas comme un homme qui peut regarder les événements avec indifférence et suspendre son jugement, puisque rien n’existe qu’en suite des décrets de sa volonté et par l’action de sa puissance. Et quand même on ferait abstraction du concours de Dieu, tout est lié parfaitement dans l’ordre des choses ; puisque rien ne saurait arriver, sans qu’il y ait une cause disposée comme il faut à produire l’effet ; ce qui n’a pas moins lieu dans les actions volontaires, que dans toutes les autres. Après quoi il parait que l’homme est forcé à faire le bien et le mal qu’il fait ; et par conséquent, qu’il n’en mérite ni récompense ni châtiment : ce qui détruit la moralité des actions, et choque toute la justice divine et humaine.

3 Mais quand on accorderait à l’homme cette liberté dont il se pare à son dam, la conduite de Dieu ne laisserait pas de donner matière à la critique, soutenue par la présomptueuse ignorance des hommes, qui voudraient se disculper en tout ou en partie aux dépens de Dieu. L’on objecte que toute la réalité, et ce qu’on appelle la substance de l’acte, dans le péché même, est une production de Dieu, puisque toutes les créatures et toutes leurs actions tiennent de lui ce qu’elles ont de réel ; d’où l’on voudrait inférer non seulement qu’il est la cause physique du péché, mais encore qu’il en est la cause morale, puisqu’il agit très librement, et qu’il ne fait rien sans une parfaite connaissance de la chose et des suites qu’elle peut avoir. Et il ne suffit pas de dire que Dieu s’est fait une loi de concourir avec les volontés ou résolutions de l’homme, soit dans le sentiment commun, soit dans le système des causes occasionnelles ; car outre qu’on trouvera étrange qu’il se soit fait une telle loi, dont il n’ignorait point les suites, la principale difficulté est qu’il semble que la mauvaise volonté même ne saurait exister sans un concours, et même sans quelque prédétermination de sa part, qui contribue à faire naître cette volonté dans l’homme, ou dans quelque autre créature raisonnable : car une action, pour être mauvaise, n’en est pas moins dépendante de Dieu. D’où l’on voudra conclure enfin que Dieu fait tout indifféremment, le bien et le mal, si ce n’est qu’on veuille dire avec