Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/91

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à la résolution qui a été prise sur l’existence de toutes les choses. De sorte que rien ne peut être changé dans l’univers (non plus que dans un nombre) sauf son essence, ou si vous voulez, sauf son individualité numérique. Ainsi, si le moindre mal qui arrive dans le monde y manquait, ce ne serait plus ce monde qui, tout compté, tout rabattu, a été trouvé le meilleur par le créateur qui l’a choisi.

10 Il est vrai qu’on peut s’imaginer des mondes possibles, sans péché et sans malheur, et on en pourrait faire comme des romans, des utopies, des Sévarambes ; mais ces mêmes mondes seraient d’ailleurs fort inférieurs en bien au nôtre. Je ne saurais vous le faire voir en détail : car puis-je connaître, et puis-je vous représenter des infinis, et les comparer ensemble ? Mais vous le devez juger avec moi ab effectu, puisque Dieu a choisi ce monde tel qu’il est. Nous savons d’ailleurs que souvent un mal cause un bien, auquel on ne serait point arrivé sans ce mal. Souvent même deux maux ont fait un grand bien :

Et si fata volunt, bina venena juvant

Comme deux liqueurs produisent quelquefois un corps sec, témoin l’esprit de vin et l’esprit d’urine mêlés par van Helmont ; ou comme deux corps froids et ténébreux produisent un grand feu, témoin une liqueur acide et une huile aromatique combinées par M. Hofmann. Un général d’armée fait quelquefois une faute heureuse, qui cause le gain d’une grande bataille : et ne chante-t-on pas la veille de Pâques dans les églises du rite romain,

certe necessarium Adœ peccatum,
Quod Christi morte deletum est !
felix culpa, quœ talem ac tantum
Meruit habere redemptorem !

11 Les illustres prélats de l’église gallicane qui ont écrit au pape Innocent XII[1] contre le livre du cardinal Sfondrate[2] sur la Prédestination, comme ils sont dans les principes de saint Augustin, ont dit des choses fort propres à éclaircir ce grand point. Le cardinal paraît

  1. Innocent XII (Antoine Pignatelli), iiapo en 169,2, succéda à Alexandre VIII. Il était né à Naples en 1615, mort en 1700. Il termina la querelle que l’assemblée de 16S2 avait provoquée entre le pape et la France. P. J.
  2. Sfondrate, cardinal, né à Milan en 1649, mort à Home en 1691. Le livre dont parle Leibniz est le Nodus prœdeslinulionis dissoluliis, Rome, 169d.. in-4o. Bossuet et le cardinal de Noailles en sollicitèrent la condamnation. On cite de lui plusieurs autres ouvrages théologiques. P. J.