Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/330

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heur, de courage et de sagesse : aussi, celui qui voudrait approfondir les causes d’une telle fortune, les découvrirait facilement. C’est une chose certaine que lorsqu’un prince ou un peuple s’est acquis une telle réputation, que tous ses voisins le redoutent et tremblent de l’attaquer, on peut être assuré que jamais aucun d’eux ne lui fera la guerre que par nécessité. Ainsi, le plus puissant sera libre toujours de déclarer la guerre à celui de ses voisins qu’il lui plaira d’attaquer, et d’employer son art à calmer la terreur des autres, qui, retenus en partie par sa puissance, et en partie séduits par les moyens dont il aura cherché à endormir leur prudence, se laisseront facilement apaiser ; et les autres princes qui, placés plus loin de ses États, n’ont aucun rapport avec lui, regarderont le danger comme trop éloigné d’eux pour se croire dans le cas de le redouter.

Leur aveuglement ne cesse que lorsque l’incendie les atteint : alors ils n’ont pour l’éteindre que leurs propres ressources, et elles deviennent insuffisantes lorsque leur ennemi est devenu tout-puissant.

Je ne parlerai pas de l’indifférence avec laquelle les Samnites regardèrent les Romains triompher des Volsques et des Éques ; et, pour ne pas perdre le temps en discours superflus, je me bornerai aux Carthaginois. Ce peuple était déjà puissant et jouissait d’une juste célébrité lorsque les Romains disputaient encore l’empire avec les Samnites et les Toscans : il possédait déjà toute l’Afrique ; il était maître de la Sardaigne et de la Sicile, et dominait sur une partie de l’Espagne ; sa puissance, son éloignement des frontières des Romains, écartaient de lui la pensée que jamais ces peuples pussent l’attaquer, et il ne songea à secourir ni les Samnites, ni les Toscans : bien au contraire, il se conduisit avec les Romains comme il est ordinaire de le faire avec tout ce qui s’élève ; il entra dans leur alliance et rechercha leur amitié. Il ne s’aperçut de sa