Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/357

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de salut qui leur restât était d’abandonner leur patrie plutôt que de se perdre en voulant la sauver. Toute la population se transporta donc en Afrique, où elle fixa sa demeure, après en avoir chassé les habitants qui s’y trouvèrent. Ainsi elle parvint à s’emparer d’un pays qui ne lui appartenait pas, elle qui n’avait pas su conserver le sien. Procope, qui a écrit la guerre de Bélisaire contre les Vandales qui occupaient l’Afrique, dit avoir lu l’inscription suivante gravée sur des colonnes érigées en ces lieux : Nos Maurusii, qui fugimus a facie Jesu latronis filii Navœ  ; ce qui indique clairement la cause de leur fuite de la Syrie.

Rien de plus formidable que des peuples contraints de s’expatrier par une dure nécessité ; et si on ne leur oppose des armées courageuses et disciplinées, on ne pourra soutenir leurs efforts.

Mais quand les peuples forcés d’abandonner leur patrie sont peu nombreux, ils sont bien moins à redouter que ceux dont nous venons de parler ; ils ne peuvent employer une égale violence : c’est à la persuasion qu’ils doivent avoir recours pour obtenir quelque coin de terre ; et lorsqu’ils l’ont obtenu, il faut qu’ils s’y maintiennent à force d’amis et d’alliés. C’est ainsi que se conduisirent Énée, Didon, les Marseillais, et plusieurs autres peuples, qui tous ne purent se maintenir dans les pays où ils étaient venus chercher un asile qu’en obtenant le consentement de leurs voisins.

La plus grande partie de ces nombreuses hordes se sont élancées des vastes contrées de la Scythie, lieux glacés et stériles, dont les innombrables habitants, ne pouvant trouver autour d’eux de quoi se nourrir, sont réduits à s’expatrier et ont mille raisons qui les chassent, et pas une qui les retienne. Si, depuis cinq cents ans, on n’a plus vu ces essaims de barbares se répandre sur toute l’Europe comme un torrent dévastateur, cela provient de plusieurs raisons : la première est le grand