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CHAPITRE XXII.


Combien sont sont fausses les opinions des hommes dans le jugement qu’ils portent des grandes choses.


Ceux qui sont témoins des délibérations des hommes savent à quel point leurs opinions sont le plus souvent erronées. Si, comme il arrive presque toujours, ces délibérations ne sont pas remises entre les mains d’hommes vertueux et éclairés, elles présentent les résultats les plus absurdes. Mais comme, dans une république corrompue, et surtout dans les temps de paix, les hommes vertueux se voient en butte à la haine, soit par jalousie, soit parce que leur vertu blesse l’ambition de leurs rivaux, on se laisse aller à ce que l’erreur commune regarde comme un bien, ou à ce que suggèrent des hommes plus avides des faveurs du peuple que de l’intérêt commun. Bientôt cependant l’adversité dissipe l’erreur, et la nécessité vous jette dans les bras de ceux que, dans ces temps de paix, on semblait avoir oubliés. C’est ce que je ferai voir en son lieu dans le courant de ce livre ;

Il survient également des accidents qui trompent facilement ceux qui n’ont pas une grande expérience des affaires : en effet, un événement présente des apparences propres à faire croire aux hommes qu’il en résultera telle conséquence. Ce que je viens de dire m’a été inspiré par le conseil que donna aux Latins le préteur Numicius lorsqu’ils eurent été battus par les Romains, et par la croyance universelle où l’on était lorsqu’il y a peu d’années encore le roi de France François Ier vint en Italie pour conquérir le duché de Milan, que défendaient les Suisses.

Le roi Louis XII était mort, et François, duc d’Angou-