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CHAPITRE III.

affaires d’État : lorsqu’on prévoit le mal de loin, ce qui n’est donné qu’aux hommes doués d’une grande sagacité, on le guérit bientôt ; mais lorsque, par défaut de lumière, on n’a su le voir que lorsqu’il frappe tous les yeux, la cure se trouve impossible. Aussi les Romains, qui savaient prévoir de loin tous les inconvénients, y remédièrent toujours à temps, et ne les laissèrent jamais suivre leur cours pour éviter une guerre : ils savaient bien qu’on ne l’évite jamais, et que, si on la diffère, c’est à l’avantage de l’ennemi. C’est ainsi que, quoiqu’ils pussent alors s’en abstenir, ils voulurent la faire à Philippe et à Antiochus, au sein de la Grèce même, pour ne pas avoir à la soutenir contre eux en Italie. Ils ne goûtèrent jamais ces paroles que l’on entend sans cesse sortir de la bouche des sages de nos jours : Jouis du bénéfice du temps ; ils préférèrent celui de la valeur et de la prudence ; car le temps chasse également toute chose devant lui, et il apporte à sa suite le bien comme le mal, le mal comme le bien.

Mais revenons à la France, et examinons si elle a fait aucune des choses que je viens d’exposer. Je parlerai seulement du roi Louis XII, et non de Charles VIII, parce que le premier ayant plus longtemps gardé ses conquêtes en Italie, on a pu mieux connaître ses manières de procéder. Or on a dû voir qu’il fit tout le contraire de ce qu’il faut pour conserver un État tout différent de celui auquel on a dessein de l’ajouter.

Le roi Louis XII fut introduit en Italie par l’ambition des Vénitiens, qui voulaient, par sa venue, acquérir la moitié du duché de Lombardie. Je ne prétends point blâmer le parti qu’embrassa le roi : puisqu’il voulait commencer à mettre un pied en Italie, où il ne possédait aucun ami, et dont la conduite de Charles VIII lui avait même fermé toutes les portes, il était forcé d’embrasser les premières amitiés qu’il put trouver ; et le parti qu’il prit pouvait même être heureux, si d’ailleurs, dans le