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ASSEMBLEE NATIONALE - 1ère SEANCE DU 16 JUILLET 1953

Pourtant, monsieur le ministre de l’intérieur, vous êtes placé devant un fait social grave que vous ne devriez pas ignorer. Aujourd’hui, nous lisons avec anxiété, dans une certaine presse, les regrets que l’on a de s’être montré trop généreux, il y a quelques années, en octroyant la citoyenneté française à l’ensemble des Algériens musulmans.

Ceux-là même qui tiennent ou écrivent ces propos sont les ennemis de l’Union française. Nous les voyons répudier tour à tour toutes les formules. Ils rêvent avec nostalgie au passé. Nous voulons les mettre en garde contre leur propre folie.

Pour ce qui est des Nord-Africains en général et des Algériens en particulier, le problème qui se pose est le suivant — il est très simple, monsieur le ministre de l’intérieur — : la France a besoin de travailleurs. Là-bas, les ressources demeurent stables, sans progrès important, la modernisation et l’industrialisation sont combattues par les cartels métropolitains, la misère est grande, les salaires sont bas, la jeunesse crève de désespoir ; alors, les plus entreprenants émigrent, Ils viennent ici.

Transplantés, dépaysés, quelquefois, souvent dirais-je, sans travail, leur vie est ici semée d’embûches. Ils sont logés dans des conditions tellement précaires que j’aurais peine à les évoquer ici.

Ces transplantés sont pourtant plus qu’utiles. Ils sont indispensables dans certaines industries, notamment dans celles où l’exercice du métier est le plus pénible. Mais on continue de faire croire qu’on se montre simplement généreux à leur égard.

Ils sont malheureux, aigris et souffrent aussi d’un terrible complexe d’infériorité quand ils constatent que la main-d’œuvre étrangère est mieux traitée qu’ils ne le sont eux-mêmes.

Pourtant, dans une industrie familiale, on embauche les fils avant d’embaucher un étranger. On reçoit ensuite l’étranger avec plaisir, quand il y a encore du travail pour lui. C’est ce que la métropole devrait faire et doit se mettre en mesure de faire rapidement. Il n’y a pas d’autre solution.

Nous répudions en tous cas celle des bricoleurs de la loi qui voudraient machiner je ne sais quel système nouveau.

On dit : « Que les Algériens restent chez eux ! » Pour y mourir de faim sans doute ! Le Gouvernement n’ignore pourtant pas la montée démographique en Algérie.

Ce qu’il faut, c’est fournir aux travailleurs algériens des conditions de vie décentes dans la métropole. Il faut loger et mieux connaître cette masse d’hommes, qui forme un sous-prolétariat plus exploité que ne l’est le prolétariat métropolitain lui-même.

Ces hommes sont comme les autres, ni meilleurs, ni pires. Ne réglez pas leur sort avec un dispositif à la fois raciste et draconien, ou, ce qui est pire, ne les ignorez pas. Ayez, en tout cas, l’audace de penser le problème !

Pour faire une véritable Union française, il faut de l’argent que l’on doit dépenser en investissements pour créer les conditions de la vraie confiance et aussi du bien-être.

C’est d’ailleurs — notre propre expérience nous le prouve — la meilleure façon d’utiliser les finances de la Nation quand celle-ci veut avoir la noble tâche de rassembler des hommes des quatre coins du monde dans une même communauté.

Là seulement est le salut. Nous vous mettons en garde. Vous aurez d’autres 14 juillet sanglants si vous continuez à vous refuser de régler les grands problèmes que pose à vos initiatives la grande entreprise de la France.

Vous constaterez, monsieur le ministre de l’intérieur, et vous aussi, mes chers collègues, que je ne vous ai pas abasourdis de chiffres et de statistiques. Pourtant, le Gouvernement sait que j’aurais pu le faire. Je me suis limité à des considérations générales et humaines.

Je souhaite que notre Assemblée soit émue par le grand problème soulevé ce soir dans cette enceinte et qu’elle sache retenir la leçon que nous enseignent ces tragiques événements. Elle voudra bien aider ou pousser le Gouvernement à agir pour que cesse le regrettable spectacle qui nous est offert.

Alors seulement, si nous échouions dans cette entreprise, les timorés pourront prêter une oreille complaisante aux racistes qui croient toujours à l’esclavage. Le processus de liquidation de l’Union française en sera alors singulièrement accéléré !

Nous avons, quant à nous, la certitude que les Algériens, lorsqu’ils se sentiront mêlés à la grande famille française, auront moins l’occasion de crier leur ressentiment.

Nous attendons du Gouvernement une déclaration qui l’engage. Nous voterons contre tout renvoi et nous solliciterons de l’Assemblée son aide pour promouvoir une politique de paix et de justice sociale à l’égard de tous les citoyens de la République qui ont droit à une égale considération.

Mais avant de quitter cette tribune, monsieur le ministre de l’intérieur, j’ajoute que nous répudions votre communiqué d’hier dans lequel vous avez juxtaposé aux événements eux-mêmes, objets de ce communiqué, des incidents particuliers qui n’avaient rien à voir avec les précédents. Nous dénonçons ce procédé pour ce qu’il a de mesquin et de dangereux. Nous le trouvons indigne d’un Gouvernement qui voudrait voir régner la paix et la fraternité dans la nation. (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs au centre.)

M. le président. La parole est à M. Grousseaud.

M. Jean Grousseaud. Mesdames, messieurs, monsieur le ministre, je tiens à exprimer ma profonde émotion ressentie par la population parisienne devant les sanglants événements du 14 juillet, place de la Nation.

Je veux tout d’abord m’incliner respectueusement devant les victimes appartenant au service d’ordre, car nous savons tous comment la police parisienne fait son devoir. Je m’incline aussi avec émotion, avec la population parisienne unanime, devant les victimes civiles de cette manifestation, entraînées, hélas ! par une propagande perfide.

Cela dit, je ne veux pas, avant vos explications, monsieur le ministre, commenter les événements. Les rapports qui vous sont parvenus vous permettront certainement de donner dans quelques instants à l’Assemblée les apaisements nécessaires sur le conduite du service d’ordre à qui certains ont adressé des reproches.

Mais je tiens à me faire l’interprète de la population de l’Est de Paris, en majorité anticommuniste, qui subit tous les ans ces manifestations assez désagréables pour ceux qui ne partagent pas les idées des communistes. Si elle est obligée de supporter ces défilés, encore faut-il qu’elle soit protégée contre certaines déprédations qui peuvent se produire à leur occasion.

C’est ainsi que le 14 juillet de paisibles commerçants furent pillés afin de munir les manifestants de moyens de riposter à la police. Vous admettrez tout de même, mesdames, messieurs, que les habitants et les commerçants de ces quartiers ont besoin d’être protégés. Si la voie publique devient normalement la chose d’une organisation politique quelconque, à aucun moment les lieux privés, les boutiques et les terrasses des cafés, en particulier, ne doivent être dégradés par les manifestants. Pourtant c’est ce que, grâce au désordre permis par le cortège communiste, on a pu constater dans la journée du 14 juillet.

Laissant de côté, si vous le voulez bien, les événements eux-mêmes de cette journée, je me permettrai d’attirer l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur les mesures profondes qu’il convient de prendre pour éviter de semblables désordres et empêcher que les communistes ne se servent ainsi de la chair à manifestations que constituent pour eux les Nord-Africains qu’ils enrôlent.

Ce qu’il faut, monsieur le ministre, c’est, d’une part, renforcer le corps, si intelligemment créé par un de nos anciens collègues, conseiller municipal de Paris, M. le général Gross, des conseillers nord-africains auprès des mairies de Paris, corps qui rend de si grands services aux Nord-Africains. Il faut en augmenter immédiatement le nombre.

Il faut, d’autre part, permettre aux Nord-Africains qui viennent vivre dans la région parisienne de travailler, ou tout au moins d’être contrôlés et assistés par des organisations sociales. Il faut aussi, si vous ne voulez pas leur permettre d’être inscrits au fonds de chômage, leur donner des secours afin que, dans Paris, ils ne soient pas les errants d’une civilisation perdue dans un monde où, véritablement, ils apparaissent comme des déshérités et des malheureux. (Applaudissements à l’extrême droite.)

M. Gaston Palewski. Très bien !

M. Jean Grousseaud. Je vous demande de penser à ce problème, monsieur le ministre, et d’étudier les conditions de logement de cette population nord-africaine.

Il importe que les deux préfectures qui sont placées sous votre administration directe, la préfecture de la Seine et la préfecture de police, prennent les dispositions nécessaires pour que les Nord-Africains soient convenablement logés.