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A LA PLUS BELLE

festonne, creusant au fleuve des réduits profonds que surplombent les falaises rocheuses.

Il n’est pas rare de trouver sous ces hautes murailles calcaires des habitations, grises comme la coquille d’une huître, qui se collent au roc, derrière l’abri d’une petite jetée en pierres sèches. On ne les aperçoit point des bords de la falaise, mais le feu de tourbe et de bois charrié qui brûle lentement dans l’âtre envoie sa noire fumée et révèle l’existence de ces amphibies humains.

Çà et là un moulin, aménagé pour tourner aux flux et retourner au reflux, chante ses trois notes plaintives. Dans le petit parc marneux qui l’entoure, des oies fouillent la fange et laissent leurs restes aux canards, ces parias de la race palmipède.

Au milieu de la rivière, il y a une île verte habitée par les alouettes de mer. Cette île, jolie comme une jolie page de Bernardin de Saint-Pierre, donne raison à la poésie du XVIIIe siècle. Néanmoins il y manque les chers peupliers, la grotte et le tombeau d’un sage, ami de l’Être suprême, mais ne connaissant pas le bon Dieu.

De nos jours, cette belle et sereine rivière est sillonnée de mille embarcations. Les gabares des riverains, sortes de barges à quille non pontées, mettent leur voile brune au vent dès qu’il y a une corde de bois, trois douzaines d’œufs et une couple de poulets à la ferme. Les bateaux de plaisance louvoient et jouent ; les barques de pêcheurs traînent le lourd chalut au fond de l’eau ; enfin, par un gai soleil, le paquebot le Dinannais déroule les longs anneaux de sa fumée sombre ou bleue, agite ses deux nageoires dans l’écume, et glisse, rapide comme une flèche, emportant pleine cargaison d’Anglais ennuyés. Là-bas, à l’arrière, voici miss Anna, la poétique enfant, qui trempe son quatorzième biscuit dans son huitième verre de madère. Encore préfère-t-elle le sherry, cette diaphane et frêle créature !

Au temps où va se passer notre récit, il n’y avait sur la Rance ni bateaux à vapeur, ni Anglais. Quant à miss Anna, elle n’était pas encore poitrinaire. Miss anna n’est poitrinaire que depuis l’époque où John Jonhson de Johnson-House, son daddy, (papa)