Page:A la plus belle.djvu/154

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rives du Couesnon et sur le pont. C’était sur le pont même, en pays neutre, qu’on avait installé le fameux jeu de la grenouille, si cher au page Marcou, et dont nous parlerons plus tard avec détail.

Mathurin s’arrêta et s’assit sur le parapet.

— Eh bien ! fainéant, lui dit Goton, vas-tu rester là ?

— Non, répondit Mathurin.

Comme il ne bougeait point, Goton le tira par la manche. Mathurin regarda l’eau couler ; mais il n’eut peut-être point de mauvaise pensée.

— Écoute, femme, reprit-il ; le Couesnon a un côté droit et un côté gauche. Lequel aimes-tu le mieux du côté gauche ou du côté droit ?

— Le côté gauche, pardi, puisque c’est la Bretagne.

— C’est bon, dit Mathurin, qui sauta sur ses pieds ; je te laisse ce que tu aimes le mieux, ma femme.

Il s’élança dans la foule qui encombrait le pont et passa sur la rive droite du Couesnon. Goton ne put que lui tirer la langue.

L’affluence était énorme ; a chaque instant des flots pressés débouchaient de toutes les sentes qui aboutissent à la route de Pontorson. Coton n’euL pas trop le temps de maugréer ; elle fut entraînée par un des mille courants qui traversaient la cohue et se donna tout entière à la joie. La joie débordait.

Sur dix personnes prises au hasard, il y en a neuf et demie qui aiment passionément la poussière, le bruit, la presse ; qui sont heureuses quand on leur écrase les pieds et qu’on leur enfonce les côtes, et qui respirent avec délices l’atmosphère viciée des foires, des salons, des tavernes bien bourrées, des salles de spectacle élégamment méphitiques.

La foule dégage une sorte d’ivresse ! foule vêtue de satin ou foule habillée de bure. Entre ces deux genres de cohues, l’odeur varie sans cesser d’être mauvaise. C’est l’ail ou c’est l’ambre ; c’est la saucisse brutalement insolente ou le sachet assassin. On aime cela, puisque les parfumeurs vivent et que les charcutiers font fortune… Ajoutez ces chaleurs odieuses qui montent au cerveau et ces défaillances qui retournent vio-