Page:A la plus belle.djvu/185

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avait passé inaperçue et si j’avais franchi, sans le savoir, le seuil du monde inconnu. Les nuages glissaient au ciel, variant leurs bordures irisées.

La lune se montra dans un petit lac d’azur, et je vis à cent pas de moi, une barque pavoisée qui nageait comme un cygne, sur l’eau tranquille. Mon cheval qui n’avait plus de force, rendit un gémissement ; il se débattit ; la mer passa sur sa tête, puis sur la mienne…

Je m’éveillai dans cette barque pavoisée, dernier objet qui avait frappé mes regards. C’était la galère de plaisir du comte Otto Bélinghem, seigneur des Îles. On avait allumé des flambeaux. Tout autour de moi c’étaient de jeunes et charmants sourires…

Messire Olivier s’arrêta encore. Il passa la main sur son front où ses cheveux noirs ruisselaient. Sa voix vibra comme un chant, quand il poursuivit, sans prendre la peine de chercher une transition :

Parmi les chênes énormes, derniers débris de la forêt druidique, anéantie par l’Océan, un palais s’élève blanc comme la neige. L’œil se fatigue à compter les innombrables colonnes qui soutiennent les arcades de ses portiques, et quand le soleil de midi, perçant le feuillage jaloux, vient jouer dans cette forêt de marbre, on croit aux enchantements des poètes.

Est-ce une relique des merveilles d’Hélion, la ville décédée ?

Si vous voulez y aller voir, demandez aux matelots ce géant de granit, ce roc noir, dont le front sourcilleux apparaît, quand on passe au nord de Chaussey. Les matelots appelaient ce roc l’Homme de Fer bien avant la venue du comte Otto dans nos contrées. C’est là, au pied de ce roc dont la tête sévère ment, car sa base est enfouie dans les fleurs ; c’est là que la barque pavoisée prit terre. Il n’est point au monde de lieu plus charmant. La mousse y est épaisse, le jour timide, l’air embaumé. Les flancs du rocher s’ouvrent à la cascade qui va chantant sur l’albâtre des cailloux, parmi les blanches anémones et les iris azurés. Le vent y souffle, tour à tour tiède et frais, toujours parfumé comme l’haleine même d’Enta…