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DOUZE ANS DE SÉJOUR

Prince maintint dans de justes bornes la curiosité des assistants. On se sépara vers dix heures. La nuit était très-belle ; je fis relever le rideau de ma tente et je songeais aux incidents de la journée, lorsque je fus distrait par le bruit que faisait l’eunuque pour écarter un intrus. Je levai la consigne. C’était un clerc, qui, me voyant prolonger ma veillée, venait me tenir compagnie. Il disait avoir été à Jérusalem et parlait un peu l’arabe, circonstance à laquelle il devait sa récente entrée en faveur, le Prince ayant voulu, pour ses rapports, avec moi, avoir son drogman particulier. Il était du reste intelligent, causeur infatigable, et prétendait, vis-à-vis de ses compatriotes connaître, parfaitement les mœurs, la langue et les usages de mon pays. Je lui demandai, entre autres choses, s’il serait facile de se procurer une belle peau de lion ; il me dit qu’elles étaient fort rares, réservées aux grands seigneurs, et d’un prix élevé. Ma tente était tellement près de la maison du Dedjazmatch qu’il put nous entendre ; il fit appeler mon interlocuteur, et quelques instants après un page m’apporta ce message :

« Je ne suis pas riche comme les princes de ton pays, mais cette fois, du moins, je peux te satisfaire. Je viens de recevoir du roi d’Innarya trois peaux de lion en présent ; je t’en envoie une, parce que je veux que ton premier sommeil chez moi soit celui d’un hôte dont le premier désir a été satisfait. »

Pendant que je me laissais aller au plaisir que me procurait cette attention, le page revint avec deux autres peaux.

— Tu sais peut-être, me faisait dire le Prince, qu’une pèlerine en peau de lion est une décoration recherchée par nos cavaliers les plus intrépides ; les miens sont impatients que je leur donne celles-ci. Je