Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
DOUZE ANS DE SÉJOUR

Même aux yeux d’un étranger comme moi, tout dénotait dans le pays une animation inaccoutumée. Les Gojamites aiment la guerre, et malgré la réserve du Dedjazmatch, soldats et paysans se réjouissaient à l’idée d’une campagne contre les Gallas, leurs ennemis naturels. Nous ne faisions que des étapes très-courtes, afin de permettre aux contingents de nous rejoindre. Une bande d’environ deux cents fusiliers, la crosse en l’air, marchaient en tête ; puis venaient le parasol, le gonfanon et les quarante-quatre timbales ; une trentaine de fusiliers d’élite ; les chevaux du Prince conduits à la main ; une vingtaine de porte-glaives et autant de soldats à pied, de ceux qu’on nomme compains ou commensaux du maître, et enfin le Dedjazmatch à mule, et, à deux ou trois pas derrière lui, une rangée d’une soixantaine de cavaliers montés à mule également. À leur suite se pressaient confusément leurs servants d’armes, leurs chevaux de combat, des fusiliers ou des soldats montés sur des bidets ; le reste de nos gens, hommes, femmes, pages, sommiers, chiens, bagages, valets, mêlés et confondus, suivaient à la débandade. Nous avancions prestement à travers champs, les piétons au pas gymnastique, les cavaliers causant et riant entre eux, et les timbales battant la marche. De temps en temps, un trouvère, dominant de ses vocalises perçantes le son des timbales, chantait un distique en l’honneur du Dedjazmatch ou de quelque cavalier célèbre par sa bravoure. Le Dedjazmatch, impassible et droit sur sa mule à l’amble rapide, semblait entraîner tout ce monde qu’il dominait. Les toges blanches et flottantes, la variété pittoresque de leurs draperies, le teint bronze florentin et les tresses des chevelures noires des fantassins, ballantes au gré de leur course, chevaux de combat, selles éclatantes,