Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
278
DOUZE ANS DE SÉJOUR

les yeux et donnent au paysage une richesse et une variété qui en font comme un jardin sans bornes. Le climat sain, égal et tempéré, la fertilité du sol, la beauté des habitants, la sécurité dans laquelle leurs demeures semblent assises, font rêver de s’arrêter en si beau pays. Souvent, durant nos marches, on voyait un soldat fatigué quitter son rang, s’affaisser jusqu’à terre en glissant le long de la hampe de sa javeline et dire, en contemplant le site :

— Hein, vous autres ! quel dommage que cette terre ne soit pas chrétienne ! comme on y attendrait bien la fin de ses jours !

Nous apprîmes par des prisonniers que les Gallas du deuga, supposant que nous prolongerions notre séjour chez eux, avaient convoqué leurs compatriotes des districts éloignés, pour nous attaquer le lendemain avec des forces considérables, consistant surtout en cavalerie. Le Dedjazmatch transporta immédiatement son camp sur un premier versant de la descente de woïna-deuga, où le terrain étroit, courant entre un immense ravin, presque à pic, d’une longueur d’environ cinq milles, et la berge du deuga, haute d’environ huit cents mètres, nous mettaient à l’abri de la cavalerie ennemie. Le soir, il prévint par ban l’armée de se tenir prête à se remettre en marche au petit jour.

Dès que notre arrière-garde évacuait nos campements, les Gallas, qui nous épiaient toujours, y entraient par petits groupes. J’éprouvai le désir d’en profiter pour les voir de plus près. Comme d’habitude, le Prince, en sortant à mule de sa tente, me donna le bonjour et m’invita du geste à le suivre. Mais je le laissai partir. L’armée s’écoula, et pour me soustraire aux perquisitions que l’arrière-garde