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DOUZE ANS DE SÉJOUR

sous un warka, et pendant que nous causions gaîment, un Galla, monté sur un beau cheval blanc, vint à portée de voix, de l’autre côté d’un profond ravin. Il nous donna le bonjour et dit :

— Ô Guoscho, Guoscho ! tu vas hiverner chez toi, après avoir fait bien des veuves et des orphelins, foulé nos prairies, égorgé nos troupeaux, dont tu n’as profité que pour semer ta route de charognes ; mais le Père du ciel bleu jugera entre toi et nous. En tout cas, nous ne nous reverrons peut-être pas de longtemps. Cet hiver pourrait bien te donner de la besogne ailleurs. Tu dois connaître nos aruspices ; ils y voient clair et ils pronostiquent des bouleversements prochains pour ton pays. Maintenant, si tu as un brave de confiance, envoie-le-moi ; je lui dirai deux mots pour toi.

Mais voyant deux cavaliers contourner le ravin pour le joindre :

— Ouais ! dit-il, nous ne donnons pas nos secrets à quatre oreilles à la fois.

Et il partit au galop, nous laissant rire à notre aise.

Pendant qu’on nous amusait de la sorte, une troupe de Gallas pénétra notre ligne de marche, tua quelques traînards, en emmena une trentaine prisonniers, et disparut avant que nous pussions porter secours. En arrivant sur le lieu de l’action, j’appris qu’un de mes hommes, soldat musulman, avait été blessé en protégeant vaillamment quelques femmes.

Sur le bord d’une mare où elles avaient cru peut-être se réfugier, gisaient d’un air reposé trois victimes : un homme à barbe et à cheveux blancs, un soldat de 18 à 20 ans, et, à ses côtés, une