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DOUZE ANS DE SÉJOUR

nement des conversations allait croissant, lorsque soudain le silence se fit, les huissiers dégagèrent l’entrée, et nous vîmes sur la place un cavalier en tenue de combat qui parcourait ventre à terre une vaste arène formée par des rangs compactes de soldats. Il arrêta court au bas-bout de la table, et javelot et bouclier haut, il débita son bardit ou thème de guerre, qu’il interrompit plusieurs fois pour galoper autour de l’arène. Son cheval, échauffé à l’avance, revenait la bouche sanglante et pantelant, heurtait la table ou foulait quelque convive. Cet énergumène eut bientôt monté les esprits à son diapason : d’autres se présentèrent successivement, les uns seuls, d’autres à la tête de petites troupes ou accompagnés de fusiliers qui appuyaient de décharges les discours de leurs maîtres.

Trois ou quatre heures se passèrent à suivre ces représentations militaires, auxquelles les Éthiopiens se plaisent particulièrement la veille d’une bataille. Les uns profitaient de la circonstance pour réclamer contre les oublis ou les partialités dont ils se disaient victimes ; d’autres s’engageaient à une action d’éclat pour mériter quelque faveur demandée depuis longtemps ; des rivaux convenaient publiquement de régler leur différend de telle ou telle manière, selon que l’un ou l’autre se distinguerait le plus durant la bataille : duel utile au moins à la communauté, puisqu’il se décide au détriment de l’ennemi, et rappelle les duels analogues entre légionnaires romains.

Le Prince fit dire à un vieux fusilier de sa garde, qui avait jadis tué un lion, d’aller figurer à son tour dans l’arène, et l’apparition de ce soldat indiqua la clôture de la fête : car lorsqu’un homme qui a tué un lion vient débiter son thème de guerre, ou ne peut se présenter après lui, à moins d’avoir accompli plus de