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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

nos picoreurs ; ils accouraient déjà, formant sur nos derrières de longues files ondulantes qui, d’instants en instants, augmentaient notre nombre. On commença à former les rangs à environ 200 mètres en avant de la tente du Prince ; derrière régna une confusion inexprimable. Quant à moi, après avoir dit à mes cinq rondeliers, mes seuls vassaux, de prendre rang où ils voudraient, je me tins près de Monseigneur, sans autre soin que celui d’apaiser mon cheval qui bondissait, chauvissait des oreilles et aspirait le tumulte de tous ses nasaux.

On allait, on venait, on courait, on s’appelait ; les cris, les adieux, les lazzis, les invectives, les chants et thèmes de guerre s’entrecroisaient de toutes parts. Les derniers venus cherchaient à qui confier leur toge ; des femmes s’agitaient en tous sens. Ici, la concubine de quelque seigneur, assise sur un culbutis de bagages, oubliait de voiler son joli visage contracté d’effroi.

« Ne crains rien, lui disait un soldat en passant, tu es trop belle pour avoir choisi un imprudent. »

Une autre, se frappant la poitrine et pleurant, invoquait à haute voix saint Georges et Notre-Dame de Bon-Secours.

Une autre, le regard fixé sur quelque bande, s’écriait : « Mon bon maître, mon orgueil, que Dieu vous garde en ce jour ; toi, Notre-Dame, protége mon corps en lui ! »

Des groupes de servantes, les poings sur les hanches, regardaient de tous leurs yeux, défendaient contre les voleurs leurs ustensiles et paquets ; quelques-unes, gourdes en mains, offraient à boire aux passants ; d’autres, court vêtues, la toge enroulée en ceinture, allaient se porter résolument derrière les hommes en