Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/483

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
475
DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

Et, posant la tête sur mon épaule à la manière antique :

— Béni, béni soit ton voyage, comme le jour qui nous réunira ! dit-il.

Un bond de son cheval l’éloigna, et il me cria :

— Frère, frère, comme au combat : le plus vite, c’est le meilleur !

Et il partit à fond de train, la javeline en arrêt et jetant au vent des : Ha ! ha ! ha ! cris usuels dans la mêlée ou dans la chaleur du jeu de cannes.

Et, oppressé par l’isolement, je repris ma route avec une vingtaine de suivants, dont un bon tiers étaient des prisonniers libérés, qui profitaient de mon départ pour regagner leurs quartiers.

À ces émotions en succédèrent bientôt d’autres d’une nature bien différente. Nous avions à faire deux grandes journées de route avant d’arriver au camp du Dedjadj Birro ; les cultivateurs riches s’étaient réfugiés dans les villes d’asile, avec ce qu’ils avaient de précieux ; le pays semblait désert ; mais nous savions que de derrière les accidents de terrain, les paysans en armes nous épiaient, et que la vue de notre petit nombre pouvait les engager à nous attaquer. Nous venions de déposséder les gouverneurs du pays, et l’administration du Dedjadj Birro, mal assise et contestée en plusieurs endroits, laissait le champ libre aux violences et aux désordres habituels durant les interrègnes : des hommes d’armes en troupe sont les seuls en cas pareils à se hasarder loin des villes d’asile. Cependant, en nous bien gardant, nous pûmes arriver sans encombre, le surlendemain matin, au camp de Birro.

En chemin, j’avais fait une rencontre imprévue : nous marchions en plaine, lorsque nous vîmes au loin