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DOUZE ANS DE SÉJOUR

le nez aquilin, largement enraciné, les narines mobiles, les yeux vifs, grands et enfoncés sous des arcades couronnées d’épais sourcils, le front développé, légèrement fuyant et commençant déjà à se dégarnir ; son col long et fort était d’une flexibilité telle qu’il pouvait presque regarder son dos, ce qui, joint à la petitesse de sa tête et à l’ensemble accentué de ses traits, lui donnait parfois la pose d’un oiseau de proie.

Tout en lui indiquait l’intelligence, la passion, une énergie cruelle et une sensibilité exquise ; il n’avait pas ce qui complète le tyran supérieur : l’impassibilité du visage et du regard. Les muscles de son visage, toujours prêts à se contracter, indiquaient un caractère tourmenté, l’inquiétude, le soupçon et l’astuce ; et quand son regard ordinairement bienveillant s’animait, il devenait pénétrant et difficile à supporter. Ses manières annonçaient l’orgueil, la fierté et un certain élan dominateur qui dénotait que sa fortune était ascendante. Doué d’une mémoire des plus heureuses, il n’oubliait plus le terrain ou l’homme qu’il avait vu une fois. Physionomiste habile, il montrait souvent une perspicacité féminine dans son discernement des caractères. Il s’emportait sur ses préventions comme sur ses préférences ; ses amitiés, toujours conduites par la passion, se sont toutes éteintes dans le sang. Calculateur et cupide, ses richesses étaient ordonnées d’une manière scrupuleuse et avare ; malgré cette disposition, il donnait en prince, et sa libéralité intelligente, ingénieuse souvent, lui a valu une réputation de générosité qui attirait dans son parti des chefs et des soldats de fortune des provinces les plus éloignées. Langue dorée à l’occasion, il était à son gré bourru ou gracieux et insinuant ; mieux que personne, avant d’étreindre sa victime, il savait l’envelopper de